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05/04/2010

La folie

 

La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s'attendre à un résultat différent.

Albert Einstein

 

Rationalité castratrice

 

Dans L'histoire sans fin, les jeunes héros luttent afin de préserver le monde des rêves du néant qui l'envahit. La parabole, ici, dépasse peut-être son auteur. Le rêve doit avoir quelque chose de séditieux car tous les régimes totalitaires ont cherché à l'éradiquer au nom du "pragmatisme". Regardez simplement comment notre société nous rappelle sans cesse au principe de réalité pour nous faire avaler des couleuvres qui ont de plus en plus une taille de crocodile! Écoutez les discours de ceux qu'on appelle des hommes et des femmes de pouvoir - des « décideurs » - quand ils nous expliquent les contraintes du monde que nous avons créé et dont, paraît-il, nous ne pouvons plus sortir. «Vous allez comprendre pourquoi nous sommes obligés de vous licencier.» «Vous allez comprendre pourquoi nous ne pouvons plus vous aider.» « Quand je vous aurai montré ce qui se passe, vous serez d'accord avec moi que, dans votre intérêt... » L'appel à la rationalité n'est que la dernière façon de castrer la révolte. Qui revendiquerait d'être irrationnel ?

Dans ce monde qu'étouffe lentement la froide et trompeuse grisaille de cette rationalité, je ne ferai pas appel cependant aux marchands de rêves professionnels. Qu'ils s'expriment dans des films, des émissions de télévision, à quelque tribune ou sur les stades, ils sont le nouvel opium du peuple. Comparée à eux, la religion retrouverait facilement un parfum révolutionnaire. "Aimez-vous les uns les autres": vous imaginez ? Les marchands de rêve captent notre "temps de cerveau disponible" et nous retiennent de trop méditer les mensonges et les impostures qui accablent l'humanité. Surtout, ils nous détournent de faire une énergie collective de ce que nous ressentons en le partageant dans la "vraie vie". Mazarin disait: « Ils chantent, ils paieront ». Aujourd'hui, c'est : « Ils regardent l'écran, ils se laisseront faire ». Je me demande si la révolution française aurait eu lieu s'il y avait eu à l'époque autant de ces distractions qui réduisent le temps de frayer avec nos semblables... Les seuls rêves puissants sont ceux que l'on fait soi-même et à plusieurs. Rêvons-nous encore nos propres rêves ? Avons-nous été châtrés par la rationalité ? Sommes-nous capables de rêver ensemble ?

Dans un tel monde, les marchands d'aventures ont aussi de l'avenir. C'est une bonne et une mauvaise nouvelle. Cela dépend des aventures qu'ils nous proposeront. Nous avons vu ce qu'il en a été pour l'Allemagne avec Hitler: quand un peuple est dans l'impasse, point ne sert de rappeler la rationalité du garrot qui l'étrangle, du carcan qui l'humilie. Or, comme l'expliquait brillamment Hervé Juvin, l'autre soir, à l'École militaire, l'impasse est là - et multiple. Nous vivons aujourd'hui un renversement propice aux pires aventures. Le règne de l'Occident, comme jadis celui de l'Empire romain, est rattrapé par l'entropie. Les guerres pour la ressource redeviennent un moteur de l'Histoire. Les grandes migrations sont devant nous et non derrière. L'écosystème ne supportera pas la croissance que notre modèle économique réclame. Les identités jadis blessées retrouvent leur mémoire et reprennent le devant de la scène...

Sans nous en rendre compte, nous sommes entrés dans l'époque de tous les dangers. Or, comme le montre la fable de L'histoire sans fin, le néant guette ceux qui ne se racontent pas la bonne histoire. Le seul antidote du néant, c'est la puissance créatrice. Je crois essentiel de retrouver l'intelligence du rêve, fût-ce aux dépends de la rationalité.

03/04/2010

La démocratie et les experts

 

Les prodromes d'un déchirement de la "communauté scientifique" autour de la question du réchauffement climatique ne peuvent laisser le citoyen que pantois. Une double vérité semblait acquise: il y avait réchauffement et la cause en était anthropique. L'impression était celle d'une belle unanimité. Mais d'étranges fausses notes se sont bientôt glissées dans la symphonie. Avait-on, avant le concert, étouffé dans les coulisses quelque musicien désaccordé ? Si c'était le cas, manifestement on n'avait pas assez pressé l'oreiller. Résultat: aujourd'hui, on est carrément passé de la symphonie à la cacophonie, il y a deux orchestres sur la scène.

Imaginez: vous remorquez votre voiture au garage et les mécanos se disputent sur la cause de la panne! Bien évidemment, si vous en savez autant que moi sur la mécanique, il vous est difficile de les départager. De même, il est impossible, semble-t-il, à Monsieur ou Madame Michu de porter un jugement sur la pertinence des thèses climatiques qui s'affrontent et dont les protagonistes, cependant, dans une démarche parfaitement scientifique, ne vont pas tarder à s'étriper. « Etre grand, c'est épouser une grande querelle » dit Hamlet dans la pièce de Shakespeare. Il semble que beaucoup de gens, ces temps-ci, sont à la recherche de la grandeur...

J'ai lu un texte où Jean-Marc Jancovici s'en prend aux journalistes d'avoir invité le débat scientifique dans les médias. Il leur reproche de ne rien connaître du sujet, pas plus d'ailleurs que les lecteurs ou les téléspectateurs à qui ils s'adressent. Il leur pose une succession de questions, brassant à l'envi des termes qui échappent au vulgum pecus, afin qu'ils mesurent la profondeur de leur crasse ignorance et laissent de telles questions entre les mains de "ceux qui savent". Tout en étant critique moi aussi quant à la transformation des débats en spectacles superficiels, j'ai eu un haut-le-corps. Par personne interposée, on m'intimait de la boucler. J'étais comme ces indigènes du temps de la colonisation à qui les maîtres disaient : « Cherche pas à comprendre ! »

Cet article soulève la question récurrente et éminemment critique des rapports entre la démocratie et les experts. J'ai là-dessus des opinions radicales et je ne vais sans doute pas me faire que des amis en les exposant. L'article que j'évoquais le confirme: il est facile pour les experts d'enfumer les citoyens avec leur vocabulaire d'initiés. Que devient dès lors la liberté de choisir son destin ? La finalité de l'Etat, disait Spinoza, c'est de garantir la liberté. Or, de facto, une démocratie qui se remet entre les mains des experts se renonce à elle-même. D'ailleurs, ne l'avons-nous pas déjà fait dans certains domaines et ne sommes-nous pas en train de le payer ? Nos gouvernements, en suivant des « experts » dans la sacralisation du marché n'ont-ils pas porté un coup à la communauté nationale qu'ils sont supposés défendre et qu'ils ont en fait livrée aux grands vents de la finance apatride ? La liberté va jusqu'au droit de ne pas suivre les experts.

« Oui, mais » allez-vous me dire, « savoir s'il y a réchauffement ou non, si la cause en est anthropique ou non, il y va de la vie des générations futures ! » Je risquerai ici deux remarques désagréables. La première, c'est qu'on a tant parlé du réchauffement climatique qu'on en a oublié - ou écarté - d'autres menaces, immédiates et indéniablement anthropiques celles-là (je joins à cette chronique un article de Dominique Viel à ce sujet). Ma seconde remarque est plutôt une mauvaise nouvelle : il n'est écrit nulle part que l'homme puisse avoir, dès qu'il le veut, les réponses à toutes les questions qu'il se pose. Peut-être, en ce qui concerne le climat, sommes-nous dans cette situation où le doute est la seule attitude scientifique acceptable. Autrement dit, vivre, c'est accepter l'incertitude. On le savait, il faut y revenir. La question, c'est : comment faire avec ? Peut-être n'avons-nous pas à mobiliser la finance mondiale pour nous en sortir. Peut-être nous ajusterons-nous comme nos ancêtres ont déjà su le faire lors du petit âge glacière (XVème siècle après Jésus-Christ), pas à pas. Cela peut nous éviter les erreurs des plans quinquennaux soviétiques et autres productions technocratiques.

Pour vous consoler, il y a cependant un registre dans lequel les citoyens que nous sommes ont toute compétence à exercer leur sagacité et leur jugement: celui de l'éthique des hommes et des femmes qui veulent nous conseiller. Au tribunal, on peut récuser un juré pour suspicion de partialité. C'est ainsi que, face à l'auteur d'un infanticide, on écartera une personne dont l'enfant a été assassiné, même s'il ne s'agit pas du même prévenu. On se gardera aussi des  conflits d'intérêts et des compromissions : l'expression de la vérité peut être freinée voire découragée par la crainte ou le désir. On jugera également de l'attitude à l'égard du peuple et de ses institutions : cherche-t-on à nous éclairer ou à nous embrouiller, brigue-t-on des avantages ou est-on désintéressé ? Nous respecte-t-on ?

Clémenceau disait : « La guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée aux militaires ». Le Tigre avait compris le rapport entre la démocratie et les experts.

TroisMenacesSurlaPlanète.pdf