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16/03/2008

L'esprit des Jeux

Extrait d'un communiqué de Corus Nouvelles (Québec):
L'agitation politique au Tibet n'aura pas d'impact négatif sur les Jeux olympiques ou sur le relais de la torche, ont affirmé samedi les organisateurs des Jeux olympiques. Les préparatifs pour le passage de la flamme olympique sur le Mont Everest et au Tibet "se sont déroulés très en douceur et dans les temps", a déclaré Sun Weide, un porte-parole du comité d'organisation des Jeux, le BOCOG. Sun a ajouté que des groupes pro-Tibet avaient tenté d'instrumentaliser les Jeux olympiques, prévus du 8 au 24 août, pour faire la publicité de leur lutte pour l'indépendance. Mais il a déclaré qu'ils représentaient seulement une petite minorité. "Le BOCOG s'oppose à toute tentative de politiser les JO parce que ça va à l'encontre de l'esprit même des Jeux, a souligné Sun. Nous avons reçu un soutien extraordinaire de la communauté internationale pour les Jeux olympiques." http://www.corusnouvelles.com/rss-violences_tibet_auront_pas-791422-5.html .

Si faire passer la flamme olympique chez la victime avant d'aller la porter chez son bourreau ne scandalise personne "au sein de la communauté internationale", c'est que la "communauté internationale" en question n'est qu'un club de crocodiles. Mais qu'en plus on invoque "l'esprit des jeux" pour garder bonne conscience, là c'est carrément à gerber!

Je parie qu'on aura même droit à quelque prêchi-prêcha pour nous expliquer que les Jeux de 1936 ont permis d'humaniser le régime nazi.

14/03/2008

Pourquoi SecondLife n'est pas une déviance

Au temps lointain de mon enfance, des médecins dénonçaient périodiquement les modes qui s'emparaient successivement de la jeunesse. J'ai souvenance d'attaques particulièrement virulentes contre le hula hoop, ce cerceau diabolique accusé de desquisser les vertèbres des adolescents, et évidemment contre le rock et le twist dont les distorsions rythmiques ou arythmiques promettaient à ceux qui les pratiquaient une déchéance corporelle accélérée. Ce n'est pas sans faire penser à l'interdit de la masturbation, dont le fondement moral ou religieux se revêtait d'opinions pseudo-scientifiques: "ça rend sourd", "ça empêche la croissance", etc. En fait, au delà de la parano parentale, cela soulève selon moi la question du rapport de malaise qu'une génération entretient avec le plaisir cultivé par une autre.

La même chose se passe aujourd'hui avec le monde virtuel qui, en tant que phénomène nouveau, génère évidemment des excès que ceux qui se sentent mal à l'aise avec ce monde inédit - et on peut les comprendre - pointent du doigt. Je suis bien d'accord que, dans cette période en quelque sorte expérimentale de notre relation au cyberespace, des dérives dangereuses sont possibles. Cela dit, si on en vient à jeter l'anathème sur les couteaux de cuisine au motif que Mme Michu s'en est servi pour assassiner son amant, ou sur le haut-médoc parce que certains en abusent, on est selon moi vraiment mal parti. Rappelons-nous que la pomme de terre, ce tubercule si sympathique, jouissait au XVIIIème siècle d'une réputation diabolique et que les pauvres se seraient laissé mourir de faim à côté d'un champ de patates. Au point que Parmentier, qui manifesta en l'occurence un vrai génie du marketing, en avait fait ostensiblement garder les cultures... pour donner envie aux gens d'en consommer.

Dans cet esprit de réhabilitation éventuelle des couteaux de cuisine, des pommes de terre et du haut-médoc, je tiens à signaler le blog de la psychologue Marie Juan Lallier - "Quelle psychologie dans quelle société ?" - que vous trouverez à cette adresse: http://mariejuanlallier.blogspirit.com/ . L'article auquel j'ai emprunté mon titre - on peut avoir des moments de paresse, surtout lorsqu'on s'est couché tard - mérite la lecture. Il rend compte d'une étude conduite par la société Repères qui se demandait comme beaucoup de nos contemporains si le succès de SecondLife résultait "d’une envie massive et planétaire de s’échapper de la réalité".

Or, rappelle opportunément l'auteur, l'humain est un être social. Peut-être le succès de SecondLife est-il d'abord la manifestation de cette humanité ?

13/03/2008

So what ?

Gilles van Wijk, professeur à l’Essec, me racontait un jour qu’il avait donné à lire à ses étudiants la charte éthique d’une firme considérable en masquant sur le document le nom de celle-ci. Les jeunes gens avaient été enthousiasmés. « Vous aimeriez travailler dans une telle entreprise ? » leur avait-il demandé. Massivement, la réponse avait été « Oui, bien sûr ! », signe que l’humain a plutôt une bonne nature. Puis, le couperet était tombé : « Vous venez de lire la charte d’Enron ». C’était, évidemment, après le scandale que vous connaissez.

Devinez maintenant qui se présente comme « une compagnie agricole dont l’objectif est d’aider les paysans à produire des aliments plus sains tout en réduisant l’impact de l’agriculture sur l’environnement » ? Monsanto. En fait, cette firme cherche rien de moins qu'à s'approprier le cycle total du vivant. Comment ? En imposant d’une manière ou d’une autre - et surtout d'une autre - l’usage de ses OGM à tous les paysans du monde. Ces OGM, du fait de leur stérilité, rendent dépendants du fournisseur les cultivateurs qui les ont utilisés et, par leurs effets secondaires sur les écosystèmes, entraînent une demande croissante de substances complémentaires - comme des pesticides - que fabrique Monsanto.

Maintenant, quel est le fin mot sur l’affaire des subprimes ? Ceux qui ont de l’argent de reste ont voulu en faire encore davantage en encourageant les pauvres à le leur emprunter. Ils ont oublié que, dans la société que, eux - les nantis - ont façonnée, la précarité est la compagne de la pauvreté et que, si on peut espérer devenir riche un jour, le plus grand nombre a surtout plus de chance de devenir encore plus pauvre. Et c’est ce qui arriva. Et comme, plus pauvres qu’au moment de l’emprunt, les emprunteurs n’ont pu honorer leurs échéances, la valeur des créances que les prêteurs avaient sur eux a chuté. D’où la crise des subprimes. Vous remarquerez, d’ailleurs, qu’on a beaucoup parlé des malheurs des banques mais très peu de celui des familles qui se sont retrouvées, avec leurs meubles, sur le trottoir.

Ces trois histoires soulèvent pour moi une question de fond. Dans ces entreprises que j’ai évoquées et beaucoup d’autres dont les stratégies sont tout aussi critiquables, il faudrait se garder de ne voir à l’œuvre que des requins cyniques et sans scrupules. Ceux-là existent effectivement. Pour moi, cependant, ils sont pour l'essentiel un produit du système. Mais, surtout, on trouve autour d'eux une majorité d’êtres humains semblables aux étudiants de mon ami Gilles van Wijk, qui rêvent d’un monde meilleur, plus équitable, plus beau. Je suis même persuadé que, pour certains d’entre eux, le doute a commencé à ronger leur conviction initiale de participer par leur vie professionnelle à quelque chose de bon. Ce doute est le début du chemin. Alors, je ne demanderai pas ce qu’ils peuvent faire pour avancer. Plutôt, je me demanderai : comment pouvons-nous faire pour les aider à aller plus loin, c’est-à-dire pour nous aider nous-mêmes ?