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26/05/2012

De l'imposture

 

 

Un ami digne de foi, grand observateur des variétés humaines, me rapportait deux phénomènes insolites. Il paraît que, les dimanches soir, des 4x4 se garent discrètement au bord du bois de Boulogne. Ce n'est pas pour ce que vous imaginez! Leurs chauffeurs sortent munis d’un seau et d’une pelle et ramassent un peu de boue dont ils se servent pour maculer leurs véhicules trop propres. La raison de ce rite étrange ? Faire croire, le lundi, qu'ils ont participé à un rallye.

 

Cette histoire permet d'en éclairer une autre, toute aussi drôlatique. Près de Saint-Jacques de Compostelle, il y a un petit aéroport. Y descendent parfois des passagers en costume de ville qui s'empressent de s'enfermer dans les toilettes. Qu'y font-ils ? Ils y revêtent la tenue du parfait pèlerin, sans oublier des godillots bien usés, avant de s'égailler dans la ville et de faire croire qu'ils arrivent du Puy-en-Velay ou de plus loin encore.

 

Je peux comprendre le plaisir de mystifier, de faire - comme au 1er avril - une bonne blague. Mais, me semble-t-il, il s'agit en l’occurrence de bien autre chose que d'une facétie. Il s'agit de rien de moins que se faire passer pour ce qu'on n'est pas. Cela s'appelle une imposture. Et je m'interroge: qu'y a-t-il à gagner à tromper ainsi son monde ? Quelle satisfaction peut-on tirer de faire croire une chose que l'on sait ne pas avoir accomplie ? 

 

Mon compère prétend que nous sommes dans une telle société de l'apparence que le paraitre se suffit à lui-même, qu’il se substitue à l’être, et que le faire semblant se substitue au faire... Bref, à célébrer les héros sans cultiver les vertus héroïques, on se satisferait de mythomanie. Je pense au film de Nicole Garcia, L'adversaire, qui est basé sur une histoire vraie, celle du malheureux Jean-Claude Romand qu’incarne Daniel Auteuil. Incapable d'avouer devant les siens qu'il n'est pas socialement ce qu’il prétend être, le héros joue l'illusionniste: il part tous les matins au travail et en revient le soir comme si de rien n'était, après avoir tué les heures sur un parking ou ailleurs. Près d’être découvert, il préfère se suicider. 


Le message évident du film, c'est le piège du mensonge s’enracinant dans le drame d'exister à travers un statut social. Un besoin qui n'est pas aussi sot que cela, puisqu'on a vu des mariages se défaire en même temps que la situation mirobolante d'un des conjoints - en général celle du mari - ou à mesure que l'ascension sociale de l'un l'éloignait de la position stagnante de l'autre - en général celle de l’épouse. Les raisons du cœur sont parfois contingentes. La position sociale est un élément de notre identité qui peut surpasser dans certaines unions l'intérêt intrinsèque de la personne. Tout à l'inverse des contes de fées, la petite princesse se révèle une pauvre paysanne mal fagotée et le prince retourne à son état de manant nauséabond. L'amour ne transcende plus la position sociale. C'est celle-ci qui le conditionne. 

 

J'avoue bien aimer Zorro: il est à la fois Don Diego de la Véga et Zorro. L'un n'est pas le fantoche de l'autre et, pour l'honneur ou l'amour, les deux sont prêts à marcher à la mort d’un même pas. Le Père Tranquille est la version française de ce conte. Le personnage incarné par Noël-Noël, qui ne peut pas dormir sans sa tisane et qu'un rien enrhume, se transforme, la nuit, en Résistant qui fait sauter des trains. Entendons-nous bien: il ne rêve pas qu'il le fait: il le fait. Dans ces deux films, c’est le personnage officiel qui a à envier de l’autre. Ceux-là enlèvent les traces de boue sur leur 4x4 pour qu’on ne sache pas qu’ils ont fait un rallye. 

 

J'essaie de trouver une explication un peu moins facile que celle qui vient à l'esprit à propos des propriétaires qui salissent le leur ou des faux pèlerins de Compostelle: ils n'ont pas rencontré l'histoire qui - comme dirait mon ami Pierre Blanc-Sahnoun - les enrôlerait. Alors, en attendant, ils se nourrissent de ce qu'ils trouvent. Ils font semblant d’être Zorro. Puéril me direz-vous ? Ou pathétique ? Et si, simplement, ils n’osaient pas faire «pour de vrai» ce dont ils meurent d'envie ?

02/05/2012

Le choix

L'art des vendeurs efficaces est d'enfermer leurs interlocuteurs dans une alternative qui suppose que la décision essentielle a déjà été prise. Par exemple:

- Madame Michu, alors vous préférez que je vienne vous voir le matin ou l'après-midi ? En début d'après-midi ou dans la soirée ?

Il a en fait évité ainsi de demander à Mme Michu si elle était d'accord pour le recevoir.

- Monsieur Escartefigue, vous préfèrerez la jaune ou la rouge ?

Il a senti son interlocuteur tenté par la voiture, il fait comme si la décision de l'acheter était déjà prise.

Un de mes bons amis pastichait cela en disant:

- Vous le voulez... maintenant ou tout de suite ?

Il me semble qu'il se passe quelque chose de cet ordre avec le deuxième tour de la campagne présidentielle. Nombreux sont les amis - qu'ils soient de gauche, de droite ou d'ailleurs - à me confier qu'ils ne se sentent en résonance avec aucun des deux finalistes. Il y a ceux dont la seule satisfaction sera de voter contre l'un des deux. Mais il y a ceux, aussi, qui se font cuire la rate au court-bouillon, se donnent des coups de pied aux fesses, parce qu'ils sont pris dans l'idée qu'ils doivent à tout prix faire un choix. 

Or, le choix est possible, mais c'est par un piège mental qu'on le voit résumé à deux options. Il y en a une tierce qui est de s'abstenir d'exprimer un suffrage. Evidemment, cela donne l'impression d'être absent du combat. Mais, si vous pensez qu'aucun des protagonistes ne représente la France ou l'Europe que vous aimez, la France ou l'Europe que vous voulez, à quoi rîme de vous tordre le bras ? Engagez vous plutôt dans un mouvement qui vous permettra de promouvoir cette vision qui vous manque aujourd'hui! Et acceptez, si cela devait se produire, que ce soit une traversée du désert!

Mais voilà, nous sommes prisonniers de l'idée qu'il faut être efficace, tout de suite. Mieux vaut trahir ses idées que de ne pas parier. Nous sommes, et c'est une des explications, infirmes du long terme. Les élections, c'est ce dimanche et il faut choisir. Tant pis si, selon vous, les deux candidats - par des chemins éventuellement différents - nous mèneront dans le même mur. Vous devez en choisir un. Or, si vous deviez vous faire opérer, vous accepteriez de choisir entre deux cliniques qui ont de très mauvaises statistiques de survie de leurs patients ? Si vous le faites, c'est que vous êtes joueur!

On a un problème similaire au premier tour, où l'on se sent obligé de voter pour un candidat qui ait des chances d'arriver au second, quand ce n'est pas même d'emporter le trophée. Mais c'est exactement ainsi que l'on tue les minorités qui nous ressemblent et qui pourraient grandir, et que l'on se retrouve, lustre après lustre, devant les mêmes choix insatisfaisants! 

Je ne suis pas en train de vous parler de mes convictions politiques. Je m'efforce juste de démonter un mécanisme mental qui éventuellement nous emprisonne au détriment de nos valeurs et de l'idée que nous nous faisons de la France. Un mécanisme qui nous enferme, comme ces images au champ étroit et sans profondeur. Un mécanisme qui réduit l'avenir aux majorités du présent.

Si l'alternative ne vous convient pas, placez vous dans une perspective à douze ans. Qu'est-ce au regard de l'Histoire ? C'est le temps qu'a mis, par exemple, le général de Gaulle pour revenir au pouvoir. Puis, avec cet horizon qui vous donne un peu d'oxygène, prenez votre bâton de pélerin. 

29/04/2012

Historiette


 

C’était un brave homme à l’oeil pétillant, toujours heureux, chantant toute la journée, qu’il plût, qu'il ventât ou qu’il fît soleil. Les tribulations de sa famille l’avaient conduit, tout jeune encore, au bord d’une mer, loin de son pays natal. Etait-ce la mer du Nord vue de Wimereux ou l'océan Atlantique vu des Sables d’Olonne, on ne sait. A l'école, l’enfant, un petit pruneau comme ses frères et soeurs, avait - tant bien que mal et plutôt mal que bien - appris un peu de français et de calcul mental. Surtout, il avait beaucoup observé les gens de ce pays au milieu desquels il s’était retrouvé, des enfants, des hommes et des femmes au teint pâle sauf lorsque l’été leur avait accordé quelque couleur fugace.

 

Très tôt, tandis que son père trimait en trois-huit et que sa mère faisait des ménages, il avait eu l'idée de la manière dont il pourrait gagner sa vie. Sitôt sa majorité arrivée - peut-être même un peu avant - il s’était bricolé une sorte de guérite aux couleurs vives qu’il avait installée à une extrémité de la plage. Un voisin qui n’était pas de la région et qui avait un accent comme lui - mais pas exactement le même - lui avait dit qu’on appelait cela une «guitoune». Tant il était aimable et laissait derrière lui comme un sillage de gaité, il avait obtenu sans difficulté l’autorisation de la mairie. C'était l'époque, il faut le dire aussi, où l'on avait plus le souci du bonheur des gens que des circulaires d'un quelconque Picrochole parisien ou bruxellois et où la confiance primait sur les règlements qui viendraient plus tard. Dans sa «guitoune», épanoui d’être là devant la mer, quasiment en plein air, notre homme chantait toute la journée en faisant cuire des merguez. Les gens venaient à lui autant par gourmandise - ses merguez étaient excellentes, ses frites aussi - que pour le plaisir de côtoyer sa joie, et, ma foi, l’argent rentrait bien.

 

Comme c’était la coutume dans son pays d’origine, il s’était marié jeune à une grasse petite femme qui lui donnait assez régulièrement de jolis petits bébés à l’oeil sombre et à la peau ambrée. Les saisons passèrent, les années s’écoulèrent et, comme les affaires avaient continué de bien marcher - avaient prospéré même - lorsque l’aîné de ses enfants - un garçon - eût atteint l’âge, il eut les moyens de lui payer des études supérieures. Le gamin, qui se trouvait être un intellectuel - c'est une chose qui arrive dans toutes les familles - entra donc dans une bizzeness skoul, y passa cinq ans et décrocha un diplôme qui lui permit de trouver assez rapidement un emploi. Il se retrouva dans une de ces compagnies qui occupent de hautes tours de verre, dans un de ces mondes où la moquette remplace l’herbe et la climatisation le souffle de l’océan.

 

De temps en temps, le gamin revenait au pays. Il arrivait à la maison familiale, posait son sac de voyage en cuir de chez H*** et demandait invariablement à sa mère, qui devenait de plus en plus ronde et grise: «Où est le père ?» Et, invariablement, elle lui répondait: «Tu sais bien, toujours au même endroit, au bout de la digue.» Le fils enfilait alors son survêtement Z*** et ses chaussures X***, et, en profitant pour faire son jogging, de gros écouteurs sur les oreilles, se dirigeait à petite foulée vers la plage. De loin, il voyait la guérite qui, malgré ses couleurs pimpantes - le père la repeignait avec soin chaque année - lui arrachait à chaque fois un gémissement. Vous allez peut-être me demander de quoi le gamin devenu grand gémissait. Lui même à vrai dire n’en savait trop rien. Il aimait beaucoup son père et en même temps, il ressentait... eh! bien, s’il fallait trouver un mot qui se rapprochât de cela, il ressentait comme une sorte de honte. 

 

«Salut Baba! Comment ça va ?» «Ah! mon fils, quelle joie de te voir!» répondait le père, surpris entre deux merguez et en pleine gamme chromatique. 

 

Un jour, le gamin eut le souci de rendre service à ce père qui lui avait payé de si belles études, qui lui avaient valu d’avoir un si bon emploi qui était si flatteur et si bien payé. Il profita d’une accalmie entre deux clients pour entreprendre l'homme vieillissant sur la stratégie de ses merguez, son marketing, etc., toutes choses que ses études lui avaient permis de maîtriser à la perfection. Le père, de grosses rides de concentration à la jonction du nez et du front, l’écouta attentivement, admirant la science de son rejeton mais ne comprenant pas grand chose à ce qu’il essayait de lui expliquer. «Tu comprends, Baba, avec la mondialisation...» A son soulagement - pour parler vrai - une famille avec trois enfants et deux ancêtres dont un en fauteuil roulant se présenta et lui commanda deux douzaines de merguez et deux grandes barquettes de frites. Mais les propos de son fils lui tournaient dans la tête et il rendit la monnaie distraitement au groupe. Celui-ci, un habitué de la «guitoune» et de son chanteur, en fut étonné. On s’éloigna en se disant qu’il y avait du souci dans l’air. «Tu as vu ? Le fils avait l’air très sérieux. Peut-être le père est-il malade ? Peut-être envisage-t-il de fermer ?» 

 

A chacune de ses visites, le fils se mit à entreprendre le père sur le sujet. Il lui faisait remarquer les mille raisons pour lesquelles son affaire ne pouvait rapporter assez d’argent, les fragilités qu’elle présentait face à la concurrence, l'absence de comptabilité précise, l'inconnaissance des ratios fondamentaux... Entre deux visites, le père devenait de plus en plus préoccupé. Il regardait toutes les heures le stock de merguez au frigo et celui des patates sous son comptoir. Il lui semblait que l’écoulement se ralentissait. Son fils aurait-il raison ? Oui, sûrement, il avait fait des études - lui - il avait un diplôme - lui. Il avait d’ailleurs dit quelque chose d’un peu mystérieux... Ah! oui: «Tu comprends Baba, il ne faut pas sousestimer la crise». Il ne savait pas trop ce que ce mot, "crise", signifiait au juste, mais pour les gens pâlots de ce pays, il semblait avoir un sens particulier, comme une maladie aussi invisible que dangereuse. Quel malheur de n'avoir pas eu une tête à faire des études! Heureusement, il avait son fils!

 

Son cerveau devint comme une bétonnière qui tourne sans cesse. Chaque jour et bientôt chaque nuit, notre homme retourna tout cela dans sa tête. Il  chanta moins souvent, moins longtemps, fatigué qu'il était par ses insomnies et absorbé par des questions dont la réponse échappait à ses supputations rudimentaires. Et, effectivement, le stock de merguez, le stock de patates se mirent à diminuer de moins en moins vite. «Mon fils a raison: c’est la crise!» Ses clients habituels, lui trouvant triste mine, avaient commencé par lui en demander la raison. Il avait répondu de manière évasive. Ils avaient eu de moins en moins de plaisir à venir à la «guitoune». Ils vinrent de moins en moins souvent. Puis plus du tout.

 

Au soir d’un jour de beau soleil où il n’avait pas chanté la moindre ritournelle ni vendu la moindre merguez, avec une larme au coin des yeux, il comprit qu’il relevait le panneau qui fermait sa «guitoune» pour la dernière fois. Demain, avec sa vieille camionnette, il viendrait l’enlever et il irait la déposer à la décharge publique. «Heureusement que mon fils m’avait prévenu qu’il y avait une crise» se dit-il en rentrant chez lui.

 

PS: J’ai imaginé ce conte à partir d’une histoire dont j’ignore l’auteur et qui se racontait il y a une vingtaine d’années dans certains séminaires de management. Ce matin, je ne sais si c’est à cause de la pluie et du vent, de la compagne électorale ou des nouvelles, elle me trottait dans la tête.