03/01/2010
Protecteurs
Dans L'astragale, deux filles insoumises voient saccager l'appartement où elles entendaient exercer librement le plus vieux métier du monde. Ensuite, elles se feront tabasser par les cowboys que leur envoient les maquereaux du quartier. Jusqu'à ce qu'elles comprennent qu'elles doivent rendre allégeance aux proxos pour qu'ils les protègent. Et ils les protégeront, ils leur procureront même des michetons à ne plus savoir qu'en faire. De braves gens en définitive, qui prennent soin de leur cheptel.
Quand on passe en revue l'Histoire, les protecteurs souvent se révèlent être les tueurs. Le pouvoir - religieux, civil, policier, militaire, académique, etc. - se légitime par la protection qu'il promet. Or, pour justifier le besoin d'une protection, il faut une situation de menaces. Heureusement, les épouvantails ne manquent pas : hérétiques de tout poil, voisins à la drôle de dégaine, chercheurs de vérité hors des sentiers battus, rassemblements aux accents étranges - et même la musique, quand elle a des sonorités bizarres, comme nous le rappelle Good morning England... Alors, on discrédite, on persécute, on excommunie, on exile ou on enferme, et quelqefois le tout ensemble. Le bon peuple, après avoir tremblé dans ses chausses, est rassuré. Parfois même il applaudit et paie en soumission ou en bulletins de vote.
Pour protéger le comté de Toulouse des dangereux cathares - des pacifistes ! - on invente l'Inquisition et ravage tout un territoire pendant plusieurs décennies. Pour protéger les âmes fragiles de ses élucubrations, le philosophe Giordano Bruno - plus courageux ou plus fou que Galilée - est envoyé au bûcher. Pour protéger la jeune science médicale issue des Lumières de l'obscurantisme médiéval, le chirurgien et obstétricien Ignace Philippe Semmelweis, qui en 1846 a découvert le principe fondamental de l'asepsie, trois ans plus tard est démis de ses fonctions. Les femmes continueront encore longtemps de mourir de fièvre puerpérale. Au XXème siècle, l'Amérique de Tom Sawyer, pays de la liberté, laisse la vilaine France colonisatrice prendre la pâtée au Viet-Nam, mais c'est pour prendre sa place contre le péril communiste. On connaît la suite. Les « protecteurs » n'ont pas peur des paradoxes. Au nom d'un Dieu d'amour, ils torturent et tuent. Au nom de la liberté, ils enchaînent. Au nom de la vérité scientifique, ils paralysent le progrès des connaissances.
Manfred Max-Neef montre que les êtres humains sont parfois enclin à échanger leur liberté contre la sécurité. Le risque fondamental pour la démocratie est là, dans cet abandon consenti. Car il n'est rien de plus facile que de susciter un sentiment d'insécurité. De là à imaginer que les marchands de protection, comme dans L'astragale, sont les vrais ennemis...
09:54 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : sécurité, réflexe sécuritaire, manipulation, inquisition
02/01/2010
Feuilletons
Alors qu'on vient à peine d'oublier le dernier épisode du H1N1 - dont la production a coûté fort cher au contribuable sans faire exploser le box office - voilà qu'en collationnant quelques faits divers on nous envoie une nouvelle "saison" de la menace terroriste. Un feuilleton pour chasser l'autre. Il faut dire aussi que, depuis bien longtemps, on n'avait pas entendu parler d'Al-Qaïda. A croire que le Réseau n'existait plus. Je ne sais pas comment vous vous représentez celui-ci, mais vous avouerez qu'on lui prête aujourd'hui des broutilles d'une singulière incongruité. On ne voit pas bien l'intérêt que pourrait avoir l'organisation qui a revendiqué l'attentat du 11 septembre à diligenter une attaque à la hache sur la maison d'un dessinateur de bandes dessinées ou la mise à feu d'une charge sans détonateur dans un avion. Si je raisonne en termes de branding, ce sont des coups de pub nullissimes pour l'image de la multinationale terroriste telle qu'on nous l'a décrite jadis. Comme si Jaguar se mettait à développer une gamme de vélos qui se déglinguent au premier coup de pédale, ou si Chuck Norris acceptait de jouer le rôle de la fée Clochette.
Au mieux, je dirais qu'on ne prête qu'aux riches et sans discernement et que c'est une bonne façon pour les gens des médias de nous extraire de la trêve des confiseurs. Un pétard mouillé, voire deux, ce n'est pas grand-chose. Mais si on peut en profiter pour citer le Réseau, le téléspectateur va dresser l'oreille et peut-être même lever une paupière. Le temps de cerveau disponible va augmenter. On peut bien sûr se demander aussi - histoire de faire du très mauvais esprit - s'il n'apparaît pas nécessaire à certains pouvoirs de nous maintenir sous tension alors que, des études le montrent, jamais la considération du peuple pour les institutions n'a été plus basse. « Vous le voyez bien que vous avez besoin de nous! Vous avez besoin qu'on vous protège ! » J'exagère ? On sait bien le levier et l'intérêt que représente pour certains partis politiques le réflexe sécuritaire. Par exemple - sans aller jusque chez Obama - ne serait-ce pas une bonne affaire si, à force d'évoquer avec des maladresses plus ou moins calculées le sujet fumeux de l'identité nationale, on boutait enfin le feu dans quelque banlieue un peu sensible ? A la veille des élections régionales, cela peut tirer de sa grippe hivernale la cote de certains hommes politiques. - Mais, là, je plaide coupable : je suis au delà du très mauvais esprit. C'était pour rire.
16:30 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, h1n1, al-qaïda, terrorisme, société, médias
01/01/2010
Transitions
En ce passage d'une année à une autre, si nous sommes tentés de sonder l'avenir et ne voulons pas être abusés par des perspectives issues d'un monde que nous croyons pouvoir retenir mais qui se défait, le mieux est de méditer le concept de « potentialité ». Quand nous regardons de plus près l'expérience que nous avons de la vie, force est de reconnaître que la première caractéristique de ce que nous appelons « potentialité » est le surgissement. La découverte de l'Amérique, la musique de Mozart, la peinture de Turner, la pénicilline, la théorie de la relativité, la rencontre d'un grand amour ou les talents d'un enfant à naître - tout cela échappe à notre capacité d'anticipation et fait penser à la superbe phrase de John Lennon : « La vie, c'est ce qui arrive quand on avait tout prévu ».
Alors, si nous ne voulons pas épuiser inutilement nos forces à tenter de maintenir une réalité déjà évanescente ou une image de l'avenir qui nous rassurait, une seule attitude est raisonnable : celle de l'ouverture à l'inattendu, celle de l'accueil à ce qui se presse déjà à la porte. Cette ouverture et cet accueil nous permettront de percevoir et de chevaucher les véritables énergies qui nous viennent de l'avenir.
C'est dans cet esprit que Manfred Mack et moi nous avons réalisé le numéro 3 de Transitions, dont j'ai le plaisir de vous donner ci-dessous le sommaire. C'est notre façon de vous présenter nos vœux : en vous souhaitant de faire de 2010 l'année non pas de toutes les illusions ou de tous les dangers - ce qui serait à peu près la même chose - mais celle de toutes les potentialités.
Pour vous procurer la revue, merci de m'écrire à : thygr@wanadoo.fr
Sommaire de Transitions n° 3
EDITORIAL
Rendez-vous à la frontière
par Thierry Groussin, avec des interviewes exclusives du Dr Jill B. Taylor et de Jacques Massacrier
PROSPECTIVE
Le message de la crise, entretien avec Hervé Juvin
INNOVATION
La puissance des défis, entretien avec Porus Munshi
MONDE ARTISTIQUE
La réalité libératrice de l'art, entretien avec Sylvain Nuccio
ECOLOGIE EXPÉRIMENTALE
Fertiliser l'imaginaire, entretien avec Paolo Lugari
SANTÉ
La médecine chinoise, entretien avec Robert Du Bois
SOCIETÉ
Le pari des potentialités, par Armand Braun
PÉDAGOGIE
Une histoire d'avenir pour jeunes collégiens en difficulté, entretien avec Dina Scherrer
HEURISTIQUE
L'art de cueillir la fleur du hasard, entretiens avec Michèle Drechsler et Anne Vermès
MANAGEMENT
L'entreprise qui croit que l'homme est bon, entretien avec Jean-François Zobrist
PHILOSOPHIE
Révéler les potentialités du monde contemporain
Une incursion dans la pensée du philosophe Peter Sloterdijk, par Christian Mayeur
SYNTHÈSE
Ce qui pourrait être, par Manfred Mack
00:36 | Lien permanent | Commentaires (3)