26/12/2020
Réflexions de Noël
Pour moi, il est une double évidence: la transcendance existe et notre accomplissement d’êtres humains en a besoin.
Jamais la nécessité n’en a été aussi grande, car jamais, pour notre espèce, la tentation n’a été aussi forte de se résoudre à n’être qu’un troupeau élevé selon les règles industrielles.
Par transcendance, j’entends quelque chose qui nous dépasse et qui échappe à notre perception ordinaire, quelque chose qui est, à la fois, de l’ordre de notre expérience de la vie et des deux mille milliards de galaxies que compte l’univers. Quelque chose d’immensément plus grand que nous et à quoi, de l’intérieur de nous-même, nous pouvons nous relier.
L’approche que nous pouvons avoir de cette transcendance relève de notre sensibilité et dépend de notre matrice culturelle, des récits, des représentations et de l’imaginaire qu’elle nous a transmis. Notre façon de peupler l’invisible en est le produit.
Je me souviens d’une phrase du père Ceyrac : « Toutes les religions sont un chemin vers le mystère de Dieu ». Le mot que je veux souligner ici est « mystère ». Que notre chemin soit celui des animistes, des taoïstes, des monothéistes ou des bouddhistes, l’incommensurable, l’irreprésentable, est au delà de l’horizon que nous avons la capacité d’imaginer.
Cependant, l’histoire de l’humanité est parsemée de repères laissés par des êtres dont l’expérience du mystère est allée au delà des frontières habituelles. On peut évoquer Lao-Tseu, le Bouddha, Jésus de Nazareth.
S’agissant de Jésus, on peut avoir la foi de sainte Germaine de Pibrac ou celle de Teilhard de Chardin. A chacun de suivre ce qui inspire l’ouverture de son coeur et de son esprit. A chacun sa voie: prières d’enfant devant la crèche de Noël, contemplation de la Voie lactée, fascination devant l’efflorescence du vivant ou vertige devant le déploiement de la complexité de l’univers.
Peu importe la manière dont nous essayons de baliser notre chemin personnel, le récit que nous nous en faisons, les figures que nous choisissons pour nous y accompagner, du moment que nous avons la conscience du mystère et l’ouverture pour l’accueillir en tant que tel.
Sur ce chemin, les étiquettes que l’on peut se donner n’ont pas de sens et le fanatisme est un obstacle majeur. Les signes du pèlerin authentique sont l’humilité et la douceur.
Voici pourquoi la fête de Noël et le récit qu’elle évoque a pour moi quelque chose de rassérénant : cette lumière est le signe du mystère qui ne cesse de nous attendre au delà de la surface des choses.
Malgré toutes les séductions, y compris idéologiques, d’un monde qui se veut sans transcendance et qui ne voit de progrès de l’espèce que dans sa réification, dans le matérialisme absolu et le transhumanisme, ma conviction indéracinable est que notre véritable voie d’évolution - j’oserais dire: notre voie « biologique » - est l’actualisation de notre dimension spirituelle.
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20/12/2020
Les gardiens de la raison (2) De l’apprivoisement à la corruption
Je persiste à croire que la plupart des êtres humains sont honnêtes et ne souhaitent que le rester. C’est pourquoi les représentations simplistes de la corruption ne sont pas pertinentes si l’on veut comprendre le processus. Le travail du lobbyiste n’est pas de corrompre, il est de tisser un réseau aux mailles solides, capable au fil de l’eau d’influencer l’opinion publique, d’orienter des décisions administratives et, dans certains cas, de se mobiliser vigoureusement sur un gros enjeu ou lorsqu’une fenêtre de tir s’entrouvre. Le volume de l’argent que les firmes dépensent dans le lobbying montre qu’il s’agit d’un investissement dont, comme de tout investissement, un retour conséquent est attendu (1). En fonction du métier de l’entreprise qui l’emploie, des obstacles qu’elle doit réduire ou neutraliser et des soutiens qu’il lui faut réunir, le lobbyiste détermine des cibles. Les critères les plus courants sont la position sociale, la crédibilité professionnelle, la présence dans des réseaux, le pouvoir détenu, etc. Ensuite s’amorce le processus d’apprivoisement de l’individu repéré. Il s’agit d’abord de susciter chez lui la sympathie, le désir d’être plus proche. Ensuite, comme Bernays l’a fait pour les foules, on pourra sonder ses besoins - psychologiques ou matériels - et évaluer son potentiel de « coopération ». Avant d’en arriver au nerf de la guerre - et c’est d’ailleurs tout aussi bien si l’on peut l’économiser le plus longtemps possible - on passera par des choses innocentes qui, plutôt qu’exploiter ses défauts, flatteront ses qualités - par exemple son goût pour apprendre ou sa curiosité scientifique. Ces choses pourront aussi répondre aux frustrations nobles qu’il est susceptible de ressentir dans son quotidien, comme l’envie de se sentir utile au delà des quinze mètres carrés de son bureau, de soutenir des cercles ou des associations qui n’ont pas d’objet lucratif. L’étape suivante s’adressera à l’égo qui, chez presque tout le monde, a toujours quelque part quelque faille à combler. Il s’agira, par exemple en donnant l’accès à des milieux relativement élitaires, de procurer d’éventuelles revanches d’amour-propre, de conforter l’aspiration à être quelqu’un de plus important, de donner les moyens d’accroître rayonnement et influence. Une sorte d’addiction se développe alors : comment, une fois que l’on en a pris l’habitude, renoncer à des relations qui enrichissent à ce point un quotidien insatisfaisant ?
L’argent finira par apparaître, mais comme un accompagnement naturel, banal, du processus relationnel. « Vous êtes un expert, vous pourriez peut-être nous rendre quelques services, donner une conférence, animer un groupe de travail, siéger au conseil d’une de nos filiales pour qu’elle profite de vos compétences… On vous défraiera naturellement. » On vous défraiera et, en ce qui concerne la logistique, les transports, l’hébergement et la restauration, vous serez traité comme un nabab. Lors des cocktails, vous aurez le privilège d’aborder les vedettes de votre domaine et, au retour, vous pourrez cultiver une image d’initié. Vous échangerez des cartes de visite, vous ferez du réseau - ce qui ira dans le sens de ce que l’on attend de vous. Si vous faites partie des meilleures recrues, on s’arrangera pour que vous soyez interviewé dans les médias, invité sur les plateaux de télévision et vous deviendrez la coqueluche des journalistes en mal de casting. Vous vivrez enfin la vie dont vous rêviez: pas celle d’un parasite qui se vend, telle que le vulgum pecus pourrait se représenter la situation, mais celle d’un homme ou d’une femme reconnu pour sa valeur, pour sa contribution à l’avancée de la science et au bien-être de l’humanité. Rien moins qu’acheté, vous avez été apprivoisé, et votre vertu a été ménagée puisque vous avez le sentiment d’être au service de quelque chose de noble et de plus grand que vous-même. Le jour où il s’agira d’influencer, de conseiller, de prescrire voire de décider, vous irez naturellement dans le sens souhaité par vos « amis » et vous saurez mobiliser votre réseau sans qu’ils aient à vous le demander. Vos qualités, votre expertise, d’ailleurs, sont réelles, sinon vous n’auriez pas été approché. Il n’y a pas tromperie sur votre valeur. En tout cas au début. Car, à force d’être en représentation, vous vous éloignerez du terrain et de ce qu’il peut enseigner, et ne vous nourrirez plus que de l’idéologie que vos amis vous distillent.
Venons-en tout de même au nerf de la guerre. Que représentent en France les « liens d’intérêts », c’est-à-dire ces défraiements que l’on vous a versés ou les avantages en nature dont vous avez bénéficié au paragraphe précédent ? Créé en 2014, l’organisme public Transparence Santé (2) tient les comptes pour son secteur. Je vous laisse juger si les sommes sont ou non impressionnantes. Depuis 2014, soit sur six ans, les entreprises pharmaceutiques ont dépensé en France 6,7 milliards d’euros. Sur cette somme, les « sociétés savantes » ont touché 2,4 milliards d’euros, les professionnels de santé 1,6, milliard, les établissements de santé 1,1, les associations 710 millions et la presse et les médias 417 millions d’euros. A tout le moins, on peut se dire que la gratitude est sans doute la qualité de coeur que les lobbyistes détournent pour, d’une personne honnête, faire une personne corrompue. Evidemment, Transparence Santé ne connaît que les chiffres qui ont été officialisés. Il se pourrait qu’il y en ait d’autres ou qu’il y ait des services plus ou moins menus qui aient été traités avec discrétion. Ne sont pas non plus comptabilisés les émoluments et les frais professionnels des salariés et des conseils externes affectés au lobbying auprès des réseaux que nous avons esquissés. Selon le Corporate Europe Observatory (3), les dix groupes pharmaceutiques qui pratiquent le lobbying le plus intense auprès de l’Union Européenne y consacrent ensemble plus de 15 millions d’euros par an. En 2019, ils ont organisé rien de moins que 112 réunions avec des membres haut placés de la Commission. C’est dire que le secteur en question, s’il n’attendait pas un retour proportionné, n’investirait pas autant.
Troisième et dernière partie à venir: Les récits de la désinformation.
(1) J’y reviens plus bas.
(2) https://solidarites-sante.gouv.fr/ministere/base-transpar...
(3) https://www.lepoint.fr/editos-du-point/anne-jeanblanc/le-...
09:29 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : corruption, désinformation, bigpharma
17/12/2020
Les gardiens de la raison (1): La pieuvre
Difficile de se représenter qu’un secteur d’activité puisse déployer une influence à la fois tentaculaire et capillaire, une sorte d’omniprésence active tant auprès des chefs d’état et des ministres que des médecins de ville, en passant par les bureaucraties de tous ordres, les médias grand public, les cercles savants, les associations sans but lucratif, sans oublier les réseaux sociaux où une nébuleuse de vibrions exécute pour lui une chasse aux sorcières zélée. J’emprunte le titre de cette chronique - Les gardiens de la raison - au livre de Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurens*. Le premier mérite des auteurs est d’y démontrer que non seulement l’emprise que je viens d’évoquer est possible mais que c’est ce à quoi nous sommes actuellement confrontés, et de faire comprendre comment, à notre insu, une stratégie de contamination opiniâtre des esprits, conduite de longue main, lui a permis d’advenir.
On se souviendra que, dans les années 30 du siècle dernier, Edward Bernays, auteur de « Propaganda, Comment manipuler l'opinion en démocratie », a réussi l’exploit de doubler le marché du tabac en convainquant les Américaines de fumer. Le génie de Bernays, qui était un neveu de Freud, fut de comprendre que l’on peut s’appuyer sur la psychanalyse pour déceler les réactions potentielles des gens et, en les actualisant, les mettre au service du marketing. En l’occurrence, fumer pouvait constituer pour les femmes une revanche symbolique sur la dictature masculine. Bernays ajusta le message qui conférait à la tabagie féminine assez de transgression pour porter cet enjeu symbolique, mais sans en faire un acte trop hardi, qui n’aurait pu être largement adopté, ou une provocation excessive qu’une réaction sociale aurait brutalement balayée. Jouant du billard à trois bandes, du même coup, il embarquait dans cette croisade les hommes qui se voulaient progressistes et n’avaient guère d’autres choix que souscrire - fût-ce à leur corps défendant - à sa propagande, faute de quoi l’image qu’ils voulaient donner d’eux-mêmes eût pâti. Depuis lors, les techniques de manipulation à des fins commerciales - ou idéologiques - n’ont cessé de se sophistiquer. Cependant, les gens n’étant pas tous aveugles, leurs avancées ne tardèrent pas à susciter des dénonciations et des résistances. Parmi les pionniers, il me revient le nom de Vance Packard, auteur de « La persuasion clandestine » (1957) qui alertait les consommateurs sur la manière dont, à leur insu, les firmes cherchaient à les téléguider.
Le tabac est un exemple intéressant. Les publicités que ma génération a connues montrent moins le plaisir de fumer qu’une mise en scène où la cigarette est associée à une situation, à des personnages symboliques. Mais, largement consommé, il devint à force envisageable que le tabac avait un lien avec certaines pathologies. Ce lien finit par être établi de manière indubitable: d’abord pour ce qui était de la santé des fumeurs eux-mêmes puis, plus malaisément, de celle de leur entourage: les fumeurs dits passifs. L’industrie fit feu de tout bois pour contester et retarder un tel verdict, en en appelant évidemment à la science. Bien que maintenant sévèrement encadrée, la tabagie continue sa carrière de tueuse (75000 décès par an rien qu’en France). Pour autant, s’agissant des productions industrielles dans leur ensemble, on peut affirmer qu’aujourd’hui toutes sont plus ou moins scrutées, suspectées et éventuellement dénoncées, qu’il s’agisse des bonbons où l’on trouve parfois des substances bizarres, des aliments industriels qui contribuent aux maladies de civilisation, des produits phytosanitaires retrouvés dans l’urine des riverains de certaines exploitations agricoles, et même de médicaments dont il faut bien reconnaître qu’il leur arrive de tuer. A cela s’est progressivement ajoutée l’évaluation sociale, éthique et écologique des processus de production : les conditions de travail, les atteintes à l’environnement et à la biodiversité ainsi qu’aux territoires, à la santé et aux moyens de vie des communautés locales qu’ils impactent. Tout imparfaites qu’on puisse juger ces avancées, notamment en raison des atermoiements du législateur, elles vont pour nous dans la bonne direction. Or, tout à l’inverse, les néo-libéraux les considèrent comme des contraintes qui entravent leur légitime « liberté de manoeuvre ».
Cette montée des consciences, des méfiances, des surveillances et des règlementations a rencontré un mouvement inverse: celui de la reprise en mains, par les détenteurs de capitaux, des grandes firmes industrielles. Après avoir été ébranlés par les progrès sociaux des années 70, par le développement des thèses sur l’entreprise citoyenne ou participative, par les attentes renouvelées d’une meilleure répartition de la valeur ajoutée et d’un management plus ouvert - attentes que relayaient les législateurs d’Etats encore démocratiques - les capitalistes ont réagi. Le plein-emploi rendait ces attentes arrogantes, tout en générant des économies les délocalisations les ont calmées. Cela valut tant sur le plan social que fiscal. Mais la contre-attaque ne pouvait se limiter à ce terrain-là. Si l’on avait assagi les travailleurs, il fallait en faire de même avec les consommateurs. C’était plus délicat car l’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Pour retrouver la « liberté de manoeuvre », il fallait frapper où se trouvait l’ennemi, c’est-à-dire dans l’esprit des gens - de ceux qui, au bout de la chaîne, décident ou non de consommer, mais aussi de tous ceux qui au fil de l’eau contribuent à cette décision. C’est ainsi que se sont développés les systèmes d’influence que décrit le livre « Les gardiens de la raison » dont le sous-titre est parlant: « Enquête sur la désinformation scientifique ».
La privatisation de la recherche scientifique dans les années 90 a eu un impact déterminant. Jusque là, on pouvait imaginer que la curiosité, l’utilité et la rigueur constituaient les logiques d’action de cette activité. Avec la privatisation, une autre logique s’ajouta qui allait rapidement supplanter toutes les autres: la rentabilité des capitaux investis, exprimée en dividendes mais surtout en valorisation boursière. Ceux qui ont travaillé dans des organisations aux logiques d’action multiples savent combien il est difficile d’empêcher que l’une d’entre elles ne parvienne à supplanter les autres qui, un beau jour, se retrouvent à n'avoir plus que la fonction décorative d’un bouquet de fleurs en plastique dans la salle d'attente. La rentabilité financière a cela de singulier qu’elle se nourrit moins de la performance économique effective que de l’impact de sa promesse sur le cours des actions. Déjà, dans les années 90, on en avait vu la marque sur le plan social: il suffisait qu’une firme annonçât des licenciements substantiels pour que son titre un peu mollasson rebondît. Tout récemment, on a vu qu’il a suffi à Gilead d’annoncer que le Remdésivir guérirait le Covid19 - sans qu’aucune étude scientifique impartiale l’eût confirmé - pour que ses actions prennent de la valeur. Son directeur général a d’ailleurs eu la chance de vendre par hasard, juste à ce moment-là, une partie de ses stocks options, ce qui lui permit d’empocher une plus-value substantielle. L’Union Européenne a acheté quelques millions de doses de ce médicament - dans des conditions obscures puisqu’elle refuse de communiquer les contrats aux parlementaires - au moment même où l’Organisation Mondiale de la Santé publiait des études démentant les affirmations de Gilead qui bénéficiait pourtant dans le paysage médiatico-médical français de nombreux enthousiasmes.
Ce survol nous donne une esquisse du réseau d’influence des industries pharmaceutiques, qui passe à la fois par la Commission Européenne et par des vedettes du milieu scientifique, indépendamment de toute caution réelle. Mais le jeu, parfois, va plus loin que la simple promotion d’un produit relayée par les fonctionnaires, les médias et les experts que l’on a su apprivoiser. Il arrive que l’on doive d’abord nettoyer le terrain de ses concurrents potentiels. Les plus redoutables sont les vieux remèdes qui remplissent la même fonction que les nouveaux - quelquefois mieux et à moindres risques - mais ne rapportent plus rien et occupent le marché. C’est là qu’apparaissent les relais qu’offre le milieu politique national. A la demande de Sanofi - son fabricant - on a fait passer début 2020 l’hydroxychloroquine, remède jusque là sans histoire et largement consommé depuis soixante-dix ans dans la prévention du paludisme, du statut de médicament en vente libre au statut de substance vénéneuse nécessitant une ordonnance. Puis, un peu plus tard, par décret, les médecins de ville se sont vu interdire de la prescrire. Il s’agit donc là de décisions de nature politique, relevant de ministres de la République. Du point de vue de notre réflexion, un aspect qui mérite aussi d’être regardé de plus près est la passivité des cent mille médecins généralistes de France et de Navarre qui se sont ainsi laissé émasculer et mettre en contradiction avec le serment d’Hippocrate. Ce paradoxe suggère que BigPharma a d’autres courroies de transmission, celles-ci au sein même de la profession médicale et de son organisation.
Certes, il y eut des résistants (et on peut parier que, comme en 1945, il y en aura un jour beaucoup). Certains d’entre eux se sont autorisés à confier qu’après avoir testé avec succès des protocoles à base d’azythromycine et / ou de zinc, d’HCQ et de vitamine D3, ils avaient évité l’aggravation du mal, l’hospitalisation, et guéri leurs patients. Mais, dès que cette information est tombée sous les yeux de l’Ordre des Médecins, ces praticiens ont reçu - disent-ils - des appels téléphoniques comminatoires leur enjoignant de cesser de publier et même d’arrêter de recourir à ce protocole. Réactions identiques des argousins des Agence régionales de la santé, des Caisses primaires d’assurance-maladie et de l’Agence Nationale de la Sécurité des Médicaments. Bref, de tout ce qui, de près ou de loin, a un caractère institutionnel. C’est au point que, devant cette dénaturation de leur rôle et découvrant la réalité du système qui prétendait les assujetir, certains médecins ont décidé de se faire radier de l’Ordre et d’exercer une autre activité.
Il n’y eut pas que des praticiens de terrain à manifester leur désaccord avec les mesures officielles, mais si vous ne fréquentez pas les « réseaux sociaux », vous avez peu de chance d’avoir entendu ces voix discordantes que j’ai évoquées ici il y a quelques semaines (1). C’est que les grands médias - si l’on excepte France-Soir et Sud-Radio - loin d’ouvrir le débat sur les théories et les traitements en concurrence, n’ont fait qu’inviter à tour de bras des vedettes qui se gardaient bien de tenir un discours tant soit peu autonome. Pour autant, si, sur la Toile, on peut accéder à des informations plus diverses, la situation n’est pas confortable. D’abord, des trolls s’insinuent dans les « conversations » pour dénigrer tel ou tel rebelle, colportant des accusations fantaisistes et oubliant de mentionner que le casier judiciaire de Pfizer est rien moins que vierge (2). Les spécialistes du « fastchecking » qui se sont fait la réputation de savoir la vérité et de la faire respecter font feu de tout bois dès qu'une assertion conteste le discours dominant. In fine, quand un rebelle a trop de « followers » et devient gênant, les administrateurs des plates-formes s’en mêlent, collant un bandeau d’alerte sur ses publications ou bien les retirant purement et simplement, puis interdisant d’antenne les fautifs pour des durées variables. Il arrive que la condamnation tombe à propos de la mise en ligne d’un document dont la source est officielle !
Mais nous ne sommes pas au bout des interventions que la pieuvre peut inspirer. Ceux qui font des gorges chaudes à propos des ridicules guerres de religions et qui n'ont pas assez de louanges pour les Lumières feraient bien de se pencher sur les étranges dérives du milieu scientifique pourtant protégé en principe de tels fanatismes arriérés. Quelles que soient les divergences que l'on puisse invoquer, les violences et la bassesse des attaques menées contre le Professeur Raoult dépassent l'entendement. Ces derniers jours nous apportent d'autres faits d'une pire brutalité. De grands noms de la science, des hommes qui soignent avec succès, sont sanctionnés pour l'autonomie de leur pensée et de leur parole. Sans doute mettaient-elles en péril les âmes frustres des gueux qui pouvaient les entendre. Il fallait les protéger. C'est ainsi que le harcèlement a eu raison du professeur Toubiana qui a annoncé il y a une semaine environ qu'il ne donnerait plus d'interviewes. Quant au professeur Perronne, il vient d'être démis de sa chefferie de service par le patron des AP-HP. N'allez pas imaginer cependant que la meute ait obéi à des ordres explicites. Ce serait mal connaître ces milieux où rien n'est jamais demandé mais où tout est exécuté.
Prochaine chronique:
Les gardiens de la raison (2): De l’apprivoisement à la corruption
* Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurens, Les gardiens de la raison, Cahiers Libres, Editions de La Découverte, septembre 2020.
(1) http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/archive/...
(2) En mai 2007, le gouvernement nigérian a porté plainte contre le groupe Pfizer, l'accusant d'avoir provoqué en 1996 la mort de onze enfants lors de tests de médicaments contre la méningite. De nombreux autres enfants auraient développé des symptômes plus ou moins graves (surdité, paralysie, lésions cérébrales, etc.). Le groupe a, quant à lui, répondu que les tests avaient été pratiqués avec l'accord du gouvernement nigérian et que les décès n'étaient pas liés à l'absorption de Trovan (nom de marque déposée de la trovafloxacine). Le roman de John le Carré, La Constance du jardinier, et le film The Constant Gardener sont inspirés de cette affaire. Selon des informations divulguées par Wikileaks, Pfizer aurait engagé des détectives pour surveiller le procureur fédéral responsable du procès des essais cliniques du Trovan.
En 2009, Pfizer accepte de verser une amende record de 2,3 milliards de dollars US aux autorités américaines. La société était accusée d'avoir fait la promotion abusive de plusieurs médicaments : le Geodon, le Lyrica et le Zyvox, dont un interdit par la FDA : le Bextra.
Le 5 septembre 2016, Jérôme Cahuzac affirme, lors de l'ouverture de son procès, que le compte illégal qu'il avait ouvert en Suisse avait été alimenté par des fonds venus des laboratoires Pfizer.
Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pfizer#Affaires_judiciaires
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