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20/08/2020

Du nécessaire usage de notre intelligence

 

 

 

Après avoir choisi de me taire sur cette étrange crise politico-sanitaire que nous traversons et dont nous ne savons même pas si nous verrons un jour l’autre rive, j’ai décidé de me lâcher.

 

Il est d’usage de s’en remettre à l’autorité, avant-hier c’était à celle incarnée par les prêtres, de nos jours c’est à celle qui arbore l’étiquette « scientifique » ou plus largement l’adjectif « expert ». Car nous avons désormais la chance d’avoir, dans une myriade de domaines, des experts - et qui parlent. Nous avons même des experts d’experts, entendez par là ceux qui jugent de l’expertise des autres, et depuis peu des experts de la vérité sans doute inspirés par le bon vieux temps de la Pravda soviétique.

 

Sans aucun doute, s’en remettre à une référence extérieure facilite la vie. Cependant, pour conserver cette bienheureuse paix de l’âme, il convient d’avoir des sources d’information homogènes et de ne surtout pas s’en éloigner. Et, encore, il peut arriver que cela ne suffise pas: les mêmes experts, sur le même plateau, peuvent nous gratifier d’affirmations aussi péremptoires que contradictoires avec celles de la veille, sans même ajouter à leur revirement l’aveu qu’ils se sont précédemment trompé. Vous l’aurez peut-être remarqué: l’autorité change de discours mais ne reconnaît jamais son erreur. C’est vous qui avez mal entendu. Avoir autorité, c’est être infaillible. La crise sanitaire a en outre surexcité la tendance à oublier le principe cartésien du doute pourtant à l’origine de toute véritable démarche scientifique. Il est vrai que, dans notre univers où ce qui compte, outre les prébendes, est d’occuper quinze minutes d’antenne, il vaut mieux proférer des stupidités bientôt oubliées par des téléspectateurs distraits que garder le silence.

 

Je n’ai pas de connaissances médicales, cette crise sanitaire m’intéresse du point de vue anthropologique et politique. C’est un puzzle aux pièces étonnamment disparates. J’ai vu les affirmations « scientifiques » les plus contradictoires et, sur les réseaux dits « sociaux » le développement d’une censure inouïe appuyée par un déchaînement de trolls de tout poil. Je me suis demandé pourquoi la carence statistique de la mortalité grippale de cet hiver - hormis l’enregistrement de soixante-douze personnes décédées en réanimation - ne suscitait aucune question de quiconque. J’ai comparé la cotation officielle de l’hydroxychloroquine et du Doliprane en termes de dangerosité. J’ai vu le Gouvernement interdire à nos médecins de pratiquer leur art librement, au mépris de leurs compétences et de leur pratique, et mettre sous le boisseau ce qu’ils pouvaient faire remonter de leur expérience du terrain. Je pourrais rajouter bien d’autres incongruités qu’un regard quelque peu distancié n’a guère de mal à relever. Comme de prétendre tester un protocole de traitement alors qu’on ne le respecte pas. Comme de rappeler tout ce qui limite la vie: les « gestes barrières », la distanciation, le masque, le gel hydro-alcoolique, mais de négliger ce qui la nourrit : s’aérer, aérer ses poumons et les lieux où l’on vit, donner de l’activité à son corps, à son coeur et à son esprit. Quant à ce qui peut renforcer le système immunitaire et qui est scientifiquement documenté, comme la prise de zinc et de vitamine D3, autant attendre d’un perroquet qu’il nous parle de l’histoire de l’impressionnisme russe. Malgré cela, globalement, prédomine encore chez le bon peuple cette déclaration que j’ai entendue plusieurs fois: « Je ne suis pas médecin, alors j’écoute ce que disent les médecins ». Mais lesquels écoutez-vous ? A moins de s’en remettre exclusivement aux mandarins patentés du vingt-heures, ce qui apporte, il faut le reconnaître le repos de l’esprit, comment ne pas voir que l’étiquette « scientifique » ou « expert » recouvre une extraordinaire hétérogénéité d’opinions, pour ne pas parler d’idéologies ou d’intérêts ?

 

Quoi de plus rassurant, n’est-ce pas, qu’un monsieur qui a le titre de chef des urgences à l’hôpital Georges-Pompidou à Paris ? Quand une telle autorité déclare sur CNEWS le 25 mai: « Cette étude (…) est en fait de très bonne qualité », on est porté à lui faire confiance. Or il s’agit de l’étude que la prestigieuse revue scientifique The Lancet, honteuse, retirera en catastrophe de ses publications quelques jours plus tard. Au cas où vous n’auriez pas suivi l’affaire, ce document qui jetait l’anathème sur le Plaquénil et donnait sa bénédiction au Remdésivir de Gilead, prétendait être le produit du traitement par une intelligence artificielle de 96000 dossiers médicaux obtenus auprès de 1200 partenaires du monde hospitalier. Or elle avait été réalisée dans le style quick and dirty par une obscure officine à l’identité fluctuante, ne disposant pas des moyens informatiques nécessaires et ne comptant que cinq salariés, dont une ex-modèle de sites érotiques. On a le droit de se demander par quels mécanismes étranges la vigilance renommée de The Lancet a été surprise et si de tels mystères ne sont pas à l’oeuvre ailleurs.

 

Sur la chaine de télévision espagnole Mañana, j’ai vu une scène surréaliste: une présentatrice s’efforce de faire dire à un brave médecin hospitalier qui freine des quatre fers que la situation vire à l’apocalypse. Il a beau affirmer qu’il n’y a plus lieu à dramatiser, lui fournir ses chiffres et ceux des trois cents professionnels avec lesquels il est en relation suivie en Espagne, la dame s’acharne. A quoi joue-t-on ?

 

Aux Etats-unis, au mois d’avril, Scott Jensen, sénateur du Minnesota et médecin, critique sévèrement les statistiques publiées par les Centers for Disease Control: selon lui, les médecins hospitaliers mentionnent abusivement le Covid comme cause des décès. Il cite des cas de morts violentes - accidents ou assassinats - classées dans la colonne Covid parce que le défunt en était « probablement » atteint. « D’évidence, conclut-il, les statistiques ne sont pas fiables ». Il se fait aussitôt incendier, injurier, censurer par les dénicheurs de fakes, chasseurs de complotistes et autres gardiens de la vérité ultime. Le 1er août, le directeur du CDC, Robert Redfield, finira par reconnaître la dérive que Jensen dénonçait. Dans certains Etats, ce sont pas moins de 3000 décès qui ont été requalifiés. Même phénomène au Royaume-Uni où ces mêmes statistiques ont été considérablement dégonflées.

 

L’observation directe ne manque pas non plus d’intérêt. J’entends périodiquement sur France Musique un storytelling financé par le Ministère de la Santé : « René prépare le barbecue ». René est un grand-père qui attend la visite de ses enfants et petits-enfants. Mais, attention, papi René est une « personne à risque »! Respectez les gestes barrières ! « On aime ses proches, alors on ne s’en approche pas ! » Comme chaque année, depuis le début des vacances, soit bientôt depuis deux mois, la population de notre ville a été multipliée par quatre voire par cinq par l’afflux des estivants. Compte tenu de la durée moyenne des séjours, cela signifie que beaucoup plus de personnes venant d’ailleurs auront au bout du compte villégiaturé chez nous. Les familles, les amis se retrouvent, parfois dans les mêmes logements, font des virées en voiture ou à vélo, prennent un pot au bistro, vont à la plage, piqueniquent, jouent à la pétanque, barbotent dans la piscine familiale, - et des centaines de René font des barbecues. Malgré cette débauche de convivialité - et je n’ai pas évoqué la sexualité estivale, notamment adolescente - une campagne de tests ayant rallié près de 4000 volontaires vient de faire apparaître douze « cas », soit 0,3 %. J’ai mis le mot « cas » entre guillemets car, du point de vue de la sémantique générale, ce mot est justement un « cas » intéressant. Que recouvre-t-il au juste ? Des gens malades, un peu, beaucoup, pas du tout ? Pourquoi une telle imprécision a-t-elle été choisie ? Pourquoi les média se contentent-ils de reprendre le terme sans l’expliciter ? Les statistiques de l’ARS pour la Vendée, à la date du 14 août, montrent qu’il reste huit patients hospitalisés (le « stock » continue de diminuer), un patient en réanimation et aucun nouveau patient hospitalisé ou en réanimation. A quoi joue-t-on ?

 

Sur notre Remblai, les promeneurs doivent porter le masque. Aux terrasses des cafés du même Remblai, où les gens sont beaucoup plus proches et de surcroît statiques, on n’a pas à le mettre. Je ne juge pas, je me réjouis même que nos commerces puissent vivre car l’année aura été périlleuse pour eux et elle n’est pas finie, mais je constate une incohérence parmi d’autres - et ce n’est pas la pire. A marée haute, sur la plage, la densité humaine n’est guère plus élevée qu’aux terrasses des cafés et, en plus, on ne saurait trouver d’espace moins confiné et mieux ventilé. Je ne parle même pas des baigneurs, toujours très clairsemés. Cependant, la plage a été interdite à marée haute. De plus en plus de communes en France décrètent l’obligation du port du masque à l’extérieur, comme Toulouse, y compris parfois pour les personnes qui se livrent à une activité physique. On envoie même cent trente CRS en renfort à Marseille pour faire respecter l’emmusèlement de la population. Interrogé sur Sud Radio, Stéphane Gayet déclare: « Pour moi, c’est une mesure qui ne se justifie pas. » Qui est Stéphane Gayet ? Le dernier complotiste à la mode ? Un négationniste ? Peut-être. Il s’agit en tout cas d’un expert puisqu’il est infectiologue au CHU de Strasbourg. Je repose la question: à quoi joue-t-on ?

 


Je m’arrête là. Je suis un citoyen policé, qui respecte par conviction la République et par principe ses lois. Mais, pour ce faire, je n’ai pas besoin de museler mon esprit. J’entends au contraire le garder libre, lucide et aussi acéré que nécessaire. Mon intuition me dit que c’est la véritable urgence pour les mois qui viennent.

13/06/2020

Maintenant, la vie !

 

Conversation sur l’après-confinement
(suivie d’une offre)

 

Convives

Les filles:
Estelle, Michelle, Noûr, Xuemei

Les garçons:
Guillaume, Pedro, Sana, Sylvain

 

C’était le premier dîner que les huit amis partageaient depuis la levée du confinement. Ils avaient retrouvé avec bonheur le petit restaurant quercynois « Chez Bergougniasse » qui, depuis maintenant plusieurs années, offrait à leurs rencontres son cadre délibérément vieillot et campagnard.

 

En poussant la porte, ils remarquèrent que l’antique sonnette, qui s’agitait habituellement à leur passage, restait muette. Le patron, après les avoir accueillis avec chaleur, leur expliqua qu’elle n’était pas en panne mais que de nombreux clients s’étaient soudain plaint qu’elle les faisait sursauter. Alors qu’il rapportait cela, ils sentirent que sa pétulance naturelle avait du plomb dans l’aile.

 

Après avoir regretté la nouvelle phobie qui avait fait taire le son aigrelet qu’ils aimaient bien retrouver, les huit avaient bavardé avec effervescence autour de l’apéritif maison déjà disposé sur la table ronde, généreusement fleurie, qui leur était réservée. A la troisième apparition du patron avec crayon et bloc-note, ils se décidèrent à ouvrir les menus posés près d’eux. Bien que les plats, tous maison, ne fussent qu’au nombre de cinq ou six, c'était un document aux dimensions d’un tabloïde.

 

- Ils sont conçus pour vous protéger du coronavirus » avait commenté le patron, mi-figue mi-raisin. Vous pouvez ensuite les poser verticalement sur la table et vous continuerez à être à l’abri des projections.

 

Ses humeurs, dont il jouait, faisaient partie du caractère de l’établissement. Mais, en l’occurence, était-il sérieux ou pince-sans-rire ? Ces dernières semaines, malgré le soulagement qui avait accompagné le déconfinement, le pays aux faces couvertes du masque s’était découvert terriblement sérieux. Peut-être du fait de l’impossibilité de communiquer par les expressions du visage, les gens semblaient, au mieux indifférents les uns aux autres, ou bien, au pire, défiants.

 

Le choix du repas était toujours un moment révélateur du tempérament et du bouquet de logiques propres à chacun. Les uns se décidaient vite, les autres se créaient des dilemmes abyssaux - en général entre « La truite des montagnes aux épinards » et « Le véritable cassoulet de la mémé de Castelnaudary ». Pendant que les uns choisissaient en silence, les autres sollicitaient leurs voisins de table ou interrogeaient plus ou moins longuement le patron. Et alors que celui-ci s’éloignait avec la commande, il y en avait toujours un (ou une) qui changeait d’avis in extremis et le rappelait. A travers ces comportements, cela faisait du bien de se retrouver tels qu’avant, comme si tout n’avait pas basculé.

 

Alors que le patron regagnait pour de bon la cuisine, un ange passa et Estelle déclara soudain, pensive :

- Je me demande ce que serait ma vie si j’avais pris d’autres décisions !

Tous les regards se tournèrent vers elle.

- Eh! bien, tu serais en train de te demander ce que serait ta vie si tu avais pris d’autres décisions !

La tablée éclata de rire. C’était bien d’Estelle de se poser de telles questions et de l’espiègle Xuemei de lui donner une pareille réplique.

- Cette question serait-elle un contre-coup de ton confinement ? » plaisanta Sana de sa voix de basse.

Mais Pedro enchaîna, malicieux :

- Es-tu sûre d’avoir vraiment pris des décisions ?

- Pas vraiment, en effet. J’ai plutôt l’impression d’avoir suivi - comment dire ? - la ligne de moindre résistance.

- Par exemple ?

- J’ai suivi les études que souhaitaient mes parents. Je voulais faire les Beaux-Arts et je suis devenue dentiste.

- Et pourquoi as-tu suivi les désirs de tes parents ?

- Sans doute parce ç’aurait demandé trop d’énergie de m’opposer à eux.

Michelle, quelque peu crispée :

- C’était quand même plus rationnel que les beaux-arts. Cela te rapporte sans doute davantage aujourd’hui !

On savait Michelle assez péremptoire dans ses opinions, mais le ton, presque agressif, surprit.

Estelle cacha sa surprise et se contenta de hausser les épaules.

Noûr, avec un clin d’oeil:

- Parles-tu de cela ce soir parce que tu sens que tu devrais prendre une décision ?

- Je passe des jours entiers, enfermée entre quatre murs, masquée, gantée, penchée sur des bouches ouvertes et des caries. Devoir attendre la retraite, c’est-à-dire encore des années, pour vivre des journées différentes, cela me déprime…

- Et sais-tu ce que tu aimerais faire ?

- J’ai tellement refoulé de désirs que j’aurais besoin de temps à moi pour mieux le cerner. Mais en tout cas, ce serait plus en relation avec la nature, la beauté, la bonté aussi… Mais, à vrai dire, c’est très compliqué.

Xuemei:

- Un peu New Age, non ?

- Et alors ? Je vais aller jusqu’au bout: avec notre société de futilités et de gâchis, nous sommes en train de détruire la vie, d’enlaidir tout, de pourrir tout. Qu’allons-nous laisser à nos enfants: la reproduction compulsive de nos comportements insensés sur une planète à l’agonie ? Les discours sur la « sobriété heureuse » ne suffisent pas! Il n’y a que l’exemple qui entraîne et je ne veux pas finir en exemple de ce que j’en suis venue à condamner.

Sana :

- Je te reçois cinq sur cinq ! Mais qu’est-ce qui est le plus compliqué pour toi ?

- Je suis persuadée que, dans mon milieu, je passerai pour une folle si, à mon âge, je quitte un boulot utile et qui paye bien pour « me faire plaisir ». Du point de vue financier, cela voudrait dire une baisse de train de vie. En ce qui me concerne, je suis prête à l’assumer. Mais je ne suis pas seule. C’est un coup à être rejetée de ma famille, mon mari pourrait divorcer et mes enfants me haïraient !

- Ils auraient bien raison ! Par les temps qui courent, quand on a un gagne-pain, on le garde ! » s’exclama Michelle que cette conversation semblait agacer de plus en plus.

Quelques convives, sans la relever, jetèrent à Michelle un regard navré.

Xuemei l’ignora :

- « Scénario catastrophe » ma belle ! Peut-être pourraient-ils comprendre mieux que tu ne le penses… Peut-être y auraient-ils, eux aussi, quelque chose à gagner…

Noûr:

- On est moins prisonnier de ses habitudes que de celles que l’on a données aux autres ! Comment les aider à en changer ?

Guillaume, qui terminait un aparté avec sa voisine, rejoignit la conversation :

- On est également prisonnier de ce que l’on croit de soi et des autres…

C’est le moment où le patron apporta les plats.

Passée la gourmandise des premières bouchées, Estelle reprit:

- Suis-je la seule à ressentir ce que je ressens ? Ne me dites pas « oui », sinon je vais avoir l’impression d’être encore plus loufoque !

Sana, par dessus sa cuisse de poulet:

- Rassure-toi. En ce qui me concerne, quand j’ai vu ce que le confinement m’a fait économiser, je me suis posé des questions sur mon style de vie. On travaille comme des dingues et on garde des jobs dont on est las, et pourquoi ? Pour pouvoir se payer des choses qui ne sont qu’un moyen de nous consoler de la vie que l’on mène !

Pedro renchérit:

- Il y a pire. A entretenir des situations qui ne sont pas en accord avec nos vraies aspirations, on se met en danger. Moi, c’est à trente-deux ans, le jour où je me suis vu près de la mort, que j’ai réalisé que ma vie valait d’être vécue différemment. J’avais repris la charge de mon père, mais comme je n’aimais pas ce travail, je me sentais coupable. Pour compenser, j’en faisais dix fois trop. Mon angoisse a duré plusieurs mois, et quand j’ai su que j’étais guéri, je me suis dit que j’avais de la chance mais qu’il ne fallait pas la gâcher. J’ai tout envoyé bouler et j’ai pris une année sabbatique.

Quelques-uns d’entre eux avaient déjà entendu Pedro évoquer cet épisode de sa vie. Il avait été atteint par un mal qui aurait pu le tuer et qu'il avait intuitivement attribué aux stresses et aux insatisfactions de sa vie professionnelle.

- Mais qu’est-ce qui te retenait ?

- L’impression que je devais cela à mon père.

- Mais il était mort ?

- Justement !

Il marque un temps, puis:

- Je partage aussi ce qu’a dit Guillaume. J’avais la croyance que je ne saurais rien faire d’autre. Si on mesurait le rôle de nos inhibitions et si on savait, à l’opposé, tout ce dont on est capable ! Nous avons en nous de quoi vivre plusieurs existences différentes!

Estelle se souvint que changer de vie avait pris environ deux ans à Pedro. A la suite d’une formation qui lui avait ouvert d’autres milieux, il y avait eu comme une série de ricochets qui l’avait conduit jusqu’à l’activité improbable qu’il avait inventée et où il s’épanouissait maintenant.

C’est alors que Sylvain, qui était resté quasiment silencieux, se décida à annoncer ce qui lui arrivait:

- Moi, de toute façon, on a pris la décision à ma place : je viens d’être viré!

Il y eut un silence. Le confinement avait mis à mal l’économie du pays. C’était une véritable marée de licenciements. De penser soudain que l’un d’entre eux était frappé par cette autre pandémie les fit tous frissonner.

Sylvain poursuivit:

- Vous avez l’air de parler de servitudes quand vous parlez du travail. Il y a quand même des compensations : le revenu, la sécurité, le statut…

Estelle:

- J’avoue que mes états d’âme de privilégiée, par rapport à ce qui t’arrive, peuvent paraître du luxe…

- Ce que je regrette, ce n’est pas tant cet emploi que je n’aimais pas plus que cela, mais la possibilité qu’il me donnait de me projeter dans l’avenir.

Après un divorce difficile et un célibat ponctué de rencontres qui avaient tourné court, Sylvain venait de se remettre en couple. C’était pour lui une deuxième vie qui commençait, pleine de promesses.

- Comment ta compagne vit-elle cela ?

- Incroyablement ! Elle me dit que c’est une occasion de réfléchir à un projet plus « radical ». C’est son mot !

- Radical ?

- Oui, radical par rapport à ceux que nous avions jusque là. Comment dit-elle ? - « Nous allons passer de la continuation à la bifurcation ».

- Et comment ressens-tu cela ?

- C’est une fille formidable. Je me réjouis qu’elle prenne aussi bien la situation. Mais son audace m’inquiète !

Noûr:

- Moi, je te le dis, tu as de la chance. Quand on a en nous des peurs, des résistances - et qui n’en a pas ? - c’est un don du ciel d’avoir un entourage qui vous aide à les surmonter.

Sylvain:

- Mais pour aller où ?

- On ne sait pas forcément tout de suite où aller, mais on sait ce qui nous attend là où on est…

D'un tempérament impavide et sociable, Noûr avait dû résister aux pressions d’une communauté particulièrement pesante, surtout s’agissant de la place des femmes dans la société. Elle avait eu le soutien de sa mère qui n’avait pas craint de remettre à sa place le père ou les frères de Noûr chaque fois que nécessaire. L’avaient aussi beaucoup soutenue les amitiés nouées au cours de ses études. Sa soeur, plus craintive, avait été phagocytée par les traditions.

Michelle :

- Tu ne crois pas si bien dire ! En ce qui me concerne, j’ai des perspectives à pleurer. La boîte organise en douce la mise au placard de gens comme moi afin de faire de la place aux jeunes loups qu’elle a embauchés ces dernières années, qui commencent à hurler famine. Non seulement, je sais que je vais m’ennuyer à mourir, mais terminer ainsi sa carrière, c’est humiliant !

Ses convives comprirent alors pourquoi elle s’était montrée aussi renfrognée.

- Que comptes-tu faire ?

- Que veux-tu que je fasse, à mon âge !

Estelle :

- Quand tu te dis que tu aurais pu mourir à cause du coronavirus, tu te dis aussi que les concessions que tu fais à je ne sais quoi ou qui, pour vivre une vie qui te laisse sur ta faim, c’est peut-être trop!

- Sur ta faim ? Avec ce que tu gagnes ?

- Je parle d’une autre faim, si tu vois ce que je veux dire !

Avec soudain un voile de tristesse, Estelle poursuivit :

- De toute façon, je crains de ne pas avoir le cran d’aller plus loin que me poser des questions…

Pedro:

- Je suis persuadé que l’on ne prend que les décisions que l’on peut prendre. Comme la poule ne peut pondre que des oeufs de poule !

Un flottement autour de la table.

- En ce qui me concerne, selon toi, je ne pourrai donc jamais que suivre ma « ligne de moindre résistance » ? » lui demanda Estelle.

- Cela ne servirait à rien de se poser des questions ? » rajouta Xuemei.

- Je pense que c’est un cercle vicieux. Pour prendre des décisions différentes de celles que nous prenons habituellement - par exemple ce qu’Estelle appelle sa ligne de moindre résistance - il faudrait être soi-même différent. Mais, pour être différent de ce que l’on est, il faut changer, et pour changer il faut prendre des décisions !

- Ou être impacté par quelque chose de fort, comme tu l’as été.

- En effet.

- Sans espoir, alors ?

Noûr:

- Non ! Le fait de réduire les résistances que l’on a en soi, d’être rassuré, soutenu par d’autres, libère nos aspirations, et celles-ci nous montrent alors des chemins qui sont à notre portée, mais que nous ne verrions pas autrement.

Michelle, leva les yeux au ciel :

- Les aspirations ! Pfff… !

Guillaume manifestait depuis un moment son envie d’intervenir:

- Je crois que l’on peut attirer les bifurcations auxquelles on aspire…

- Et comment ?

- J’ai assisté à la conférence d’un physicien et je vais essayer de vous dire ce que j’ai compris. Il disait que le passé, le présent et le futur ne sont qu’une dimension de notre expérience. En fait les trois existent en même temps. Nous serions juste comme le rayon laser qui parcourt un DVD. Donc, notre avenir est déjà là.

- Mais c’est affreux ! On ne peut rien changer alors ?

- Tu es en train de nous dire le contraire de ce que tu annonçais !

- Un moment, je n’ai pas fini! Justement, si! on peut changer cet avenir. Parce qu’il fait corps avec nos dispositions intérieures et que le DVD n’est pas gravé dans le marbre, il reste malléable. Quand on change nos dispositions intérieures, on change l’histoire écrite sur le disque, donc on change l’avenir. C’est un cheminement que l’on peut entreprendre, en douceur, sans attendre le choc d’un évènement, un burn out, une dépression nerveuse ou la peur de mourir. Et on peut le faire de manière écologique, si vous voyez ce que je veux dire.

Ils ne voyaient pas ce qu’il voulait dire et ils en auraient volontiers entendu davantage. Mais Guillaume était ainsi qu'en fonction des sujets, les lieux et les moments étaient pour lui convenables ou non. Or, l’atmosphère d’une fin d’un repas au restaurant ne lui semblait pas favorable au développement d’une idée aussi énigmatique. En outre, il redoutait les réactions cassantes, comme celles qu’avait eues ce soir Michelle.

Le patron s’approcha de leur table et les invita à choisir leurs desserts. Mis à part Sana qui savait ce qu’il prendrait dès le début du repas, les autres rouvrirent la carte.

Noûr, à mi-voix:

- Un tiramisu , après un confit de canard, est-ce bien raisonnable ?

Pedro :

- Je suppose que, si tu as fait en sorte que je t’entende, c’est que tu quêtes un soutien ?

Noûr pouffa de rire sans répondre.

- Je serai généreux, reprit Pedro: ne gâche pas maintenant un plaisir que tu as si bien cultivé jusqu’ici !

Le patron commença à relever les commandes. Michelle ne prit pas de dessert. Seule, à l’autre bout de la table, Estelle, flânant dans ses pensées, hésitait encore.


Fin du commencement


Vous vous êtes plus ou moins reconnu à un moment ou l’autre de cette conversation ?

Vous êtes confronté à l’une ou l’autre des interrogations qu’ont exprimées nos personnages ?

Vous vous trouvez à une croisée des chemins ?

Vous aspirez à des changements qui ne se produisent pas ?

Vous êtes déçu ou angoissé par vos perspectives professionnelles ?

Vous avez envie de vivre une vie davantage en cohérence avec vos valeurs ?

Vous voulez cesser de gâcher un temps qui passe de plus en plus vite ?

Vous avez envie d’en savoir plus sur un processus d’évolution personnelle fondé sur le libre-arbitre, des valeurs humanistes et une vision écologique de l’action ?

Ce qui suit peut vous intéresser !

 

Maintenant que le déconfinement le permet, nous lançons la constitution d’un ou plusieurs groupes de personnes désireuses de faire le parcours «  Constellations ».

On peut comparer Constellations à un congé sabbatique distillé goutte à goutte, qui s’entrelace avec votre vie de tous les jours.

Constellations vous propose d’enrichir votre réflexion sur vous-même, votre situation, et de vous aider à trouver ou retrouver:

vos aspirations,
vos leviers personnels de résilience et d’évolution,
les ressources dont vous avez besoin,
une stratégie pacifique, prenant en compte votre environnement.

 

Déroulement

Le déroulement du parcours s’appuie sur un cycle en trois temps:

1. L’histoire de six personnes qui se retrouvent dans des situations de crise, assortie d’outils d’analyse qui vous permettront d’approfondir votre compréhension de ce qu’elles vivent et à travers elles de ce que vous vivez vous-même;

2. Un temps d’échanges en petits groupes, où vous enrichirez vos réflexions et vos connaissances, temps d’échanges régulé par un animateur formé à la pédagogie du « maître ignorant »;

3. Une séquence que nous appelons « L’école buissonnière » qui, à la faveur des intersessions, invite à faire un pas de côté, à expérimenter en douceur, hors des sentiers battus, des situations que vous choisissez librement.

L’ensemble du parcours comprend 8 cycles et, à raison d’un cycle toutes les trois à quatre semaines, se développe sur 6 à 8 mois. Le temps d’échange de chaque cycle correspond à un regroupement physique d’une durée quatre heures.

Comme le disent les jardiniers: ce n’est pas en tirant sur les plantes qu’elles grandissent plus vite. La durée du parcours est un élément de la maturation. 

 

Quelques précisions

La pédagogie du « Maître ignorant » fait que l’animateur n’intervient jamais sur le fond. Il est là seulement pour réguler les échanges et donner le rythme.

Constellations ne vous propose aucune croyance, aucune théorie. C’est à vous de butiner, comme dans un jardin, ce qui, parmi les documents et les échanges à votre disposition, vous convient.

Une motivation sincère constitue le seul critère d’admission. La richesse du groupe dépendant de l’engagement de chacun, l’accès au parcours sera soumis à un entretien préalable avec l’animateur.

Des conditions avantageuses seront faites aux personnes motivées mais qui ne peuvent bénéficier d’une prise en charge.

Si vous avez des amis ou des amies que cette offre pourrait intéresser, merci de la leur faire suivre.

 

Pour en savoir plus: thierrygroussin@gmail.com .

07/06/2020

Coronavirus: un autre récit 

 

 

Exercice narratif

 

Il est faux de dire que les dieux sont cruels envers les hommes. Les dieux délivrent les humains de l’incertitude. Ils leur disent que croire, ce qu’est le monde et qui ils sont. Grâce à eux, la cruauté du doute est écartée. Les dieux disent aussi ce que, dans telle ou telle circonstance, il convient de faire, quand, comment, où, avec qui, et ainsi ils rassurent. Grâce à leur intervention, la condition des êtres potentiellement doués de compréhension est rendue supportable. Mais il arrive que les dieux se brouillent. Qu’ils se brouillent entre eux et que leur image se brouille. L’Olympe devient flou, l’image tremble, se dédouble comme sur un vieux téléviseur. C’est alors, pour les hommes, une grande épreuve.

 

Cela commença par Cassandre qui, toute agitée comme à son habitude, annonça un mal invisible qui avait commencé de se répandre, frappant ici et là. Une sorte d’hydre qui tuait. A l’entendre, depuis que l’humanité existe, il était le plus redoutable de tous les démons jamais lâchés sur cette planète. Il semblait qu’il dût infailliblement la conquérir et la débarrasser de l’espèce qui essaye de se tenir debout. Relayés ici et là, partout où il semblait que la bête se manifestât, les cris de la Troyenne finirent par être entendus. Mais l’on sait que Cassandre a toujours tort. L’un des dieux et non le moindre, balayant cette menace comme une mouche importune, de son nuage invita les hommes à refuser l’inquiétude et les enjoignit, au contraire, de poursuivre leurs réjouissances et leurs travaux. Ils l’entendirent, car il allait dans le sens de leurs penchants et de leurs habitudes. 

 

Mais cela tourna très vite au « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons! »

 

Sur l’Olympe, les dieux alors se réunirent et chacun y alla de son magistère et de sa vérité. D’en bas, les hommes, sidérés, atterrés, les regardaient gesticuler, se contredire, s’entre-maudire. Etait-il possible qu’il y eût plusieurs vérités - c’est-à-dire aucune ? Où donc était passée la fonction divine, mère de la science et des réponses claires ? La réalité une, unique, exclusive, le charisme qui permet de la faire partager, auraient-ils été dérobés à l’Olympe ? La seule chose que les hommes connurent pour certaine fut le nom de la créature diabolique: Coronavirus. L’un des attributs des dieux étant de nommer les choses et les êtres, apprendre cela ne fut ni une surprise ni vraiment une consolation. Mais enfin, si on la nommait, c’est qu’on la connaissait déjà un peu. On saurait donc quoi faire. Pour le reste, le lieu qui l’avait vu naître, les noces contre-nature qui l’avaient engendrée, cela resta scellé par le mystère qui règne presque toujours sur les origines et dont la révélation est réservée aux dieux. 

 

C’est à son contact le plus rapproché que l’on apprit un peu davantage de ce rejeton de l’enfer. Mais, là aussi, passées les premières évidences, la confusion revint. D’abord, il apparaissait et disparaissait. Visible au moment de l’agression, il s’évanouissait ensuite, comme dissous dans le corps de sa victime. Il s’en prenait, dit-on d’abord, aux poumons qu’il vérolait. Ah! non! Pas si simple. S’il s’en prenait à la fonction respiratoire, c’était plutôt - semblait-il - en affaiblissant le sang, véhicule de l’oxygène. Prodromes étranges: il faisait perdre le goût et l’odorat. Quand vous songez que le souffle est l’allégorie de l’esprit et de la vie, et que le goût et l’odorat évoquent les plaisirs de celle-ci, quel étrange signe ! Mais la vermine peut s’en prendre aussi aux reins, au système nerveux, au foie. En définitive, presque à tout. Il se pourrait également qu’avant de s’évanouir dans la nature, comme un mafioso qui va donner ses ordres aux tueurs à gage avant de s’esquiver, elle active une bactérie du microbiote, qui ferait le sale boulot. Elle s’en prend de préférence aux vieux, aux gros, aux diabétiques, aux cardio-vasculopathes. Elle épargne les jeunes et surtout les enfants. Encore que l’on compte aussi des cas mortels dans ces populations-là. Et même chez les maigres et en bonne santé. Elle se déplace dans l’air, se pose un peu partout, se communique par le contact, par le souffle, par certaines humeurs. 

 

Jaloux de Cassandre et ayant inhalé comme la Pythie de Delphes les vapeurs du prophétisme, l’un des dieux se mit à vaticiner. Il y aurait, prédit-il, des millions de morts. Un autre, d’un rang divinatoire apparemment inférieur, se récria et parla d’une folle exagération. L’Olympe, d’émotion, en retrouva une forme d’harmonie. Une exagération ? Comment oser un tel blasphème ! En vérité, la menace était terrible et malheur à celui qui la contesterait. Certains se frottaient les mains: il n’est de péril qui ne recèle son opportunité. Où les humains ont peur, il y a toujours quelque chose à glaner : gloire, argent ou pouvoir.

 

Cependant, au sein des tourments de cette triple transe, à la fois biologique, intellectuelle et métaphysique, des décisions furent prises. Quand on ne sait pas quoi penser, savoir quoi faire est une consolation. Et plus la peur est grande, plus on sera rassuré par des mesures extrêmes. Les dieux prirent la situation dans leur divine poigne. « Humains, vous revenez à votre souillure originelle qui fait de vous le véhicule de tous les maux. Votre contact est impur, l’air qui sort de votre gorge est impur. Vous pouvez tuer votre semblable rien qu’à l’approcher ou à lui parler. La flagellation est passée de mode, mais, comme jadis les femmes qui avaient leurs menstrues, cloitrez-vous et, si vous devez absolument sortir de vos gîtes, que ce soit furtivement et la face voilée! » 

 

Au début, les rites apaisent la peur. Ils donnent un sentiment de contrôle et de protection. Comme on trempait les doigts dans le bénitier en pénétrant dans une église, on se lave les mains en entrant dans les boutiques. Comme les femmes se couvraient la tête en présence du sacré, on se couvre le visage. Dans le pronaos (1) des files d’attente, on garde la distance prescrite par la géométrie sacrée. Dans un second temps, cependant, les rites finissent par exacerber la peur. Parce qu’à les répéter sans cesse, on s’imprègne jusqu’à l’intoxication du sentiment de l’omniprésence de la menace. Puis, on observe « l’autre »: fait-il ce qu’il faut pour me protéger ou se moque-t-il de risquer ma vie ? C’est ainsi que certains glissent dans l’obsession, deviennent puritains et bientôt chasseurs de sorcières. « Celui qui voit le Mal et ne le dénonce pas est complice du Mal ».   

 

De même qu’en de semblables circonstances le Moyen-Age multiplia les offices et les prières, la litanie du coronavirus, de son envahissement inexorable, du comptage de ses morts, fut psalmodiée à toute heure. « Il est toujours là, il est dangereux. Respectez les rites ! » De même que cette époque de ténèbres exigeait repentance, carêmes, jeûnes et privations propitiatoires, les dieux interdirent les fêtes, les retrouvailles, la fréquentation des bois, des mers et des montagnes. On fit aussi des sacrifices. Celui des vieillards, puisqu’ils étaient le plus susceptibles d’être contaminés. Comme on n’est plus à l’époque des bûchers, on se contenta de les mettre au jeûne affectif tant il est vrai que, pour passer plus léger de l’autre côté, il faut avoir appris à se défaire de tous les attachements. 

 

Quand, au terme de longs mois, un soleil bienveillant voulut reconnaître les sincères efforts des humains et annonça le retrait de la marée maléfique, ceux-ci se retrouvèrent comme des taupes chassées de leur trou à la lumière du jour. Clignant des yeux, ils se regardèrent, virent qu’ils n’étaient pas tous morts. Dans un immense soulagement, ils levèrent de nouveau leurs yeux vers l’Olympe et n’eurent que gratitude pour les dieux qui les avaient sauvés. 

 

(1) Espace précédent l’entrée dans le temple.