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25/03/2020

Du confinement comme initiation

 


Sur le site des Errances Narratives (1), un article d’Elizabeth Feld, un peu technique mais que j’ai trouvé électrisant, propose de voir le confinement que nous vivons comme un passage, un rite initiatique. Pour ceux qui peut-être les découvrent ici, je dirai - en simplifiant certes beaucoup - que, selon les Approches narratives, « plus que ce qui nous arrive, ce qui compte est ce que nous nous racontons à propos de ce qui nous arrive ». En l’occurrence, nous inviter à voir un passage ou un rite initiatique dans le confinement que nous imposent les Pouvoirs Publics ne peut que rendre féconde une période qui, pour le moment, est dominée par un récit de peur, de perte et de frustration. Pour beaucoup de gens, me semble-t-il, la seule attente est celle d’un retour au statu quo ante. D’une part, il y a selon moi beaucoup d’illusion dans cette attente; d’autre part, je pense que l’on peut mieux faire que passer notre confinement à ne souhaiter rien d’autre que ce retour en arrière. C’est pourquoi transformer cette période inattendue que nous sommes obligés de vivre en un passage ou un rite initiatiques est la garantie de tirer de notre liberté étroitement cantonnée une miraculeuse valeur ajoutée. J’avertis ici tout de suite mes lecteurs que j’écris au fur et à mesure que je pense, voire que j’écris pour penser. Je tâtonne pour essayer de m’approprier le mieux possible une idée qu’à peine découverte j’ai adoptée, embrassée même, intuitivement. Je ne suis pas anthropologue ni même spécialiste des Approches narratives: je ne suis qu’un touche-à-tout autodidacte qui, en l’occurrence, tente d’enrichir sa vie d’une métamorphose qu’on lui propose comme un cadeau.

 

S’agissant des caractéristiques des rites initiatiques, ce qui me vient d’abord à l’esprit, c’est évidemment le retrait. Le retrait, la mise entre parenthèses, est un moment plus ou moins long selon les cultures et les circonstances, mais c’est toujours un moment de vie soustrait à l’habituel, au banal, à l’ordinaire. Il me revient soudain d’avoir déjà « fait retraite »: c’était l’année de mes douze ans. Fils de familles chrétiennes et catholiques, on nous isola deux jours dans un lieu pour nous inhabituel - le collège des filles, seul établissement de la ville tenu par des soeurs - en prévision de notre communion solennelle. Le retrait que demande le rite initiatique a donc pour objectif une préparation. Une préparation, pourrait-on dire, à ce qu’est une vie pleine, une vraie vie, dans une culture singulière qui lui en fournit la référence. Mais pourquoi se retirer, se retrancher ? Il me semble qu’une des dimensions du retrait est, comme le chabatt, le Jour du Seigneur ou les jours fériés de l’Antiquité, de signifier qu’il y a quelque chose de plus grand que nous, un ordre supérieur à notre petit monde affairé et à nos passions ordinaires. Il est d’ailleurs significatif que notre société matérialiste trouve encombrantes ces coutumes d’un autre temps comme le repos dominical: elles ralentissent la machine à produire et consommer qui est devenue la divinité de ce monde.

 

Alors, dans notre confinement actuel, quel est ce plus grand que nous, cet ordre supérieur, vers lesquels nous devrions nous tourner, auxquels nous devrions ouvrir notre esprit et notre coeur ?

 

 

Dans les traditions dont mes lectures m’ont laissé le souvenir, le rite initiatique utilise la perturbation des repères spatio-temporels. C’est bien ce qu’induit notre confinement en nous privant d’une grande partie des points d’appuis que sont nos habitudes, nos perceptions coutumières, le rythme de nos jours ordinaires, et en nous mettant face à des places désertes, à des rues devenues aveugles de leurs commerces clos, à des rayons et des étals dégarnis, à des lieux de convivialité interdits. En nous faisant croiser, sur le chemin de la boulangerie, des gens qui rasent les murs, masqués, les yeux ailleurs à moins qu’ils portent en biais, les uns sur les autres, un regard de crainte qu’accompagne parfois un soupçon de détestation. C’est que, dans ce cauchemar sans drogue, par virus interposé, l’autre peut devenir mon assassin autant qu’à mon corps défendant je peux devenir le sien. Perdus au milieu d’un vide artificiel peuplé d’un ennemi invisible, nous faisons l’expérience du sentiment de vulnérabilité et de ses dérives.

 

Qu’avons à apprendre de nous, quand nous sommes ainsi sous la pression d’une situation extravagante ?

 

 

Le rite initiatique, aussi, est un moment qui marque un avant et un après. C’est qu’il a pour substance un processus de transformation. C’est un chemin qui permet à celui qui accepte d’être néophyte d’accéder à un niveau d’être supérieur pourvu qu’il accepte et fasse l’effort de se transformer, ce qui veut dire qu’il renonce à ce « vieil homme » qu’il a traîné là. Entre l’avant et l’après, celui qui s’est engagé dans l’initiation effectue, selon les termes d'Elizabeth Feld dans l’article précité, une « migration d’identité ».

 

De quelle transformation de notre être intérieur, de quelle migration de notre identité notre confinement pourrait-il être l’opportunité ?

 

 

Le rite initiatique implique l’épreuve, celle-ci pouvant revêtir des formes très diverses. Notre confinement, d’évidence, est une épreuve. Cela peut paraître paradoxal car il ne prive pas le plus grand nombre d’entre nous du confort matériel que notre civilisation place au dessus de tout. Nous aurions à faire en quelque sorte avec une «épreuve confortable». L’expression, d’évidence, est un un oxymore: la comprendre pourrait guider une quête.

 

Nous laisserons de côté le versant du confort. Nous ne sommes pas en panne de nourriture, de boisson, d’abri, d’Internet, de téléphone, de télévision ou même de papier-toilette. Ceux qui le sont l’étaient déjà avant le confinement et depuis longtemps. Sur le versant de l’épreuve, il y a matière à méditer. Il y a, osons le dire, l’expérience de la peur - de plusieurs peurs confusément mélangées - inédite pour la plupart d’entre nous. Puis, en opposition brutale à une époque qui prône l’accès de tout à tous à tout moment, il y a l’expérience d’une privation sévère de mobilité. Ici, par exemple, sur notre cote vendéenne, quelque solitaire que nous soyons, nous n’avons plus accès au littoral, aux quais, aux forêts, aux marais, à la mer. Mais, et peut-être surtout, le caractère le plus étrange de l’expérience du confinement est de ressentir sur soi une autorité qui, par sa surveillance, ses interdictions et les nouveaux rites qu’elle nous impose, nous enserre étroitement, pénétrant jusque dans notre sphère privée quand, par exemple, elle condamne les regroupements familiaux ou amicaux, la participation aux obsèques et aux cultes. On est très au delà du contrôle de vitesse sur les autoroutes.

 

N’en déplaise aux masochistes, l’épreuve en soi ne présente aucun intérêt si l’on n’y voit que la souffrance. La souffrance pour la souffrance n’a aucun sens, elle n’est pas une finalité. Si Jésus va jeûner dans le désert pendant quarante jours, Lui qui, plus tard, transformera l’eau en vin, multipliera les pains et les poissons et partagera le repas des pécheurs au nez et à la barbe des puritains, ce n’est pas pour la souffrance. En revanche, la nature de la privation nous dit quelque chose de la sublimation à accomplir ou de la compréhension à y gagner.

 

De quoi le confinement nous prive-t-il particulièrement ? Qu’est-ce que cela nous dit de la nature de la transformation personnelle et des changements de société que nous pourrions entreprendre dès notre « retour » ?

 

 

Pour achever ce propos - mais non pour conclure sur son sujet - plus large est la question du « passage » collectif. Là, mon choix est de dire qu’il ne peut s’agir seulement de notre petit moi et des commodités qu’il veut retrouver. Il s’agit de nous, de la communauté des humains, de son histoire. L’ombre que projète sur nous l’invisible virus montre qu’à ce point de son parcours des questions essentielles sont posées à notre espèce.

 

Un passage est comme un gué. Nous y sommes. Pas encore au milieu.

 

D’où venons-nous tous ensemble et pourquoi ne devons-nous pas y revenir ? Où irons-nous tous ensemble une fois sur l’autre rive de notre confinement ?

 

(1) https://www.lafabriquenarrative.org/blog/blog/il-y-aura-u...

21/03/2020

Du confinement intérieur

confinement,prospective,biais cognitifs,liberté,imprévu,développement personnel

 

J’ai beaucoup travaillé avec des personnes qui, en raison de la focalisation à laquelle leur métier et leurs responsabilités les contraignaient, demandaient à « lever le nez du guidon ». Non pas pour faire du tourisme intellectuel, mais parce qu’elles étaient conscientes que l’on peut être pris au dépourvu quand, d’un lieu que notre regard n’embrassait pas, une perturbation nous atteint. Mes séminaires et mes « parcours de développement humain » ont pour ressort principal le rapport à l’imprévu. Pourquoi y a-t-il de l’imprévu ? De quelle manière nous préparons-nous à l’accueillir ? Comment nous adaptons-nous à sa survenance ? Voire: comment l’invitons-nous ? Il n’y a rien de gratuit dans cette démarche: nos histoires individuelles et collectives sont faites de bifurcations le plus souvent subies et parfois mal exploitées. Mais l’imprévu est une notion relative. En tant que formateur, mon objectif est d’éclairer le rôle de nos processus cognitifs et de faire en sorte qu’on accueille un « peut-être » à côté des certitudes qui peuplent nos esprits et engendrent la scotomie mentale. Ma philosophie pourrait se résumer ainsi: « Peut-être cela est-il étonnant, peut-être cela n’arrivera-t-il pas de notre vivant. Autorisons nous cependant à l’envisager: si cela vient à se produire, nous aurons une avance potentiellement salvatrice ».

 

Cet intérêt pour l’imprévu provient sans doute de mon expérience personnelle. Cela a pu commencer très tôt puisque je suis né avant terme et sous césarienne, mais je ne m’attarderai pas sur cette spéculation. A plusieurs reprises, dans ma vie, ce que je tenais pour sûr ou désirable a été balayé, parfois douloureusement. Avant d’être en âge scolaire, je voyais dans la rue les plus grands que moi partir à l’école et en revenir. C’était quelque chose de mystérieux et que j’avais envie de connaître. Un jour d’octobre 1953, par un petit matin clair et frais, mon tour vint. Au bout d’une heure de classe, je n’avais qu’un désir: m’enfuir ! Une quinzaine d’années plus tard, l’imprévu fut l’annonce que mon père, âgé de cinquante-sept ans, jusque là aussi vivant qu’on peut l’être, était condamné. Pour utiliser une expression que j’ignorais à l’époque, le « signal faible » dont on n’imagina pas ce qu’il annonçait fut un simple saignement des gencives. De la clinique toulousaine où on l’avait envoyé, mon père m’appela un soir, plein d’énergie et d’optimisme. Il rentrerait dans quelques jours. Je m’empressai de communiquer cette nouvelle à notre médecin de famille qui me répondit sobrement: « Pourriez-vous venir me voir ? » C’était le début de l’automne, il tombait des cordes mais, quand je laisse ce souvenir affleurer spontanément, j’ai aussi l’image d’innombrables flocons qui virevoltent. Je ne saurais dire laquelle de ces deux images, de la pluie ou de la neige, est juste. Le bon sens me dit seulement qu’en cette période de l’année ce ne pouvait être de la neige. Dix minutes plus tard, j’étais dans le cabinet du docteur et je l’entendais me lire le compte-rendu qu’il avait reçu du professeur qui avait pris mon père en charge. Littéralement : « Leucémie myéloblastique aiguë, pronostic sombre ». A l’époque, on dissimulait aux malades les diagnostics sans espoir, mais il fallait bien que quelqu’un de la famille fût informé. Ma mère étant dépressive, ma grand-mère fragile, bien que je n’eusse que vingt-et-un ans j’étais le seul à qui notre docteur pouvait dire la vérité. Je vous laisse à imaginer, outre l’horreur pour moi de cette nouvelle, le choc intérieur que fut la collision de ces informations contradictoires. Je pense que ce choc a joué un rôle décisif sur ma structure mentale. Il y a implanté ou en tout cas renforcé un principe de défiance associé à un désir aigu de voir au delà des ombres de l’illusion. L’allégorie platonicienne m’a permis d’ennoblir cette disposition, au point que « Les ombres de la caverne » est devenu le titre du livre que j’ai publié en 2011.

 

Il y eut, au cours de cette maladie fatale, un épisode singulier. Alors qu’il traversait une bonne période, mon père, qui ignora jusqu’à la fin la réalité de son état, décida un jour de surseoir à la prise de sang périodique. Ma mère, d’ordinaire si pointilleuse, l’approuva. Il est vrai qu’il paraissait en parfaite santé. Je connaissais le risque mais je ne pouvais pas le révéler. Je ne parvins pas à les faire changer d’avis. L’angoisse folle qui s’était emparée de moi se transforma alors en une tempête. Devant mes parents interloqués, j’explosai. Pour autant, je restai muet sur l’essentiel. Etait-ce à un fils de livrer à son père la cruelle vérité que les médecins jugeaient ne pas devoir lui dire ? Une semaine plus tard, le retour des malaises se chargea du reste. Bien que je n’aie pas exactement vécu le drame de Cassandre puisque je ne pouvais pas révéler la vérité, j’ai fait l’expérience d’avoir une conviction douloureuse que l’on ne parvient pas à partager.

 

Détenir une information que l’on ne peut dire ou qui ne rencontre que le rejet fait de vous un mouton noir. Soulever certaines questions aussi. Lors de la parution du premier « Rapport au Club de Rome » sur Les limites de la croissance, qui, selon moi, mettait le doigt sur une évidence - et nous le vérifions de nos jours - je ressentis à quel point j’étais une sorte d’original, expérience que j’avais faite dès mes premiers jours de classe et qui m’avait laissé désemparé. Il y a en moi quelque chose d’imperméable à certains conformismes. Le déni collectif n’entame pas mes convictions. Dans certains domaines, aujourd’hui, j’ai le réconfort d’être de moins en moins seul.

 

Ce désir de voir au delà des ombres, que j’ai évoqué plus haut, nourrit des années plus tard ma passion pour la prospective et, parallèlement, pour l’étude de ces phénomènes de déni, de rigidité mentale, de conformisme intellectuel qui nous rendent parfois aussi stupides que vulnérables. Je me souviens par exemple d’avoir organisé, au début des années 90, des séminaires sur le potentiel du commerce électronique et n’avoir recueilli sur le moment qu’un succès d’estime. A quelques années de là, certains des participants s’en souvinrent et j’eus des compliments a posteriori. Ce n’est pas que je sois particulièrement intelligent, mais avoir été en grande partie autodidacte m’a donné une liberté de pensée que ne bloquent pas des réflexes orthodoxistes ou de subordination définitive aux sachants. Je ne peux pas penser autrement que par moi-même, fût-ce en boitant. Ce n’est pas non plus que je sois un visionnaire, c’est seulement que, lorsque j’écoute ou lis certaines choses, j’ai une sorte d’intuition de ce qu’il serait pertinent de prendre en compte, quelque invraisemblable que cela puisse paraître dans le moment. Je me rappelle, par exemple, avoir fait intervenir le regretté Bernard Lietaer sur la crise des subprimes: alors que les économistes du 20 heures nous annonçaient qu’on aurait oublié tout cela dans deux mois, Bernard affirma que la crise serait longue et profonde. J’ai eu aussi le privilège d’inviter à témoigner Paul Jorion, revenu des Etats-unis, l’un des rares experts à pouvoir prouver aujourd’hui qu’il avait annoncé cette crise puisque, non sans mal, il avait réussi à faire publier avant qu'elle survienne un essai prophétique.

 

L’étude de l’histoire et des aveuglements qui la parsèment nourrit la réflexion prospective. J’ai évoqué en passant les difficultés rencontrées par Paul Jorion pour se faire publier tant ce qu’il annonçait semblait saugrenu. Peut-on encore rappeler, tellement elle est connue, la cécité de la firme Kodak dont un des jeunes ingénieurs avait inventé la photographie numérique et qui est morte de sa croyance dans la supériorité définitive de la photographie argentique ? Doit-on rappeler le sort dramatique du médecin Ignace Semmelweis (1818-1865), persécuté par ses pairs et mort dans la folie, pour avoir évoqué la possibilité que les hécatombes de femmes en couches dans les hôpitaux avaient quelque chose à voir avec un facteur invisible ? Doit-on rappeler les analyses de Paul Watzlawick sur le cercle infernal maintes fois observé qui consiste à faire toujours plus de la même chose alors même que l’on obtient toujours plus du contraire de ce que l’on recherche ?

 

Dans le cadre de mes prospections intellectuelles, j’ai eu la chance de rencontrer des esprits particulièrement affutés. Parmi d’autres que je citerai en d’autres occasions, m’a particulièrement marqué la fréquentation d’Andreu Solé, l’auteur de « Créateurs de Mondes ». Quand Andreu m’a montré qu’en amont de nos représentations, il y avait à notre insu un filtre aussi simple que puissant - nos possibles, impossibles et non-impossibles - et que ces filtres délimitaient le monde - pour ne pas dire le bocal - dans lequel nous vivons, ce fut pour moi le « Bon sang! Mais c’est bien sûr! » de l’inspecteur Bourrel. Cela explique que les oeuvres d’imagination soient parfois plus pertinentes que les exercices de prévision rédigés par les « réalistes », car le réalisme n’est qu’un assemblage de préjugés dont le statut de la fiction permet de se libérer. Un petit rayon de ma bibliothèque rassemble quelques-uns des ouvrages qui me paraissent lourds de pertinence de ce point de vue-là. Impossible, le naufrage du Titanic, pourtant décrit avec une étonnante précision, en 1898, par Morgan Robertson dans son roman Futility ? Impossible que des terroristes détournent des avions et les jettent sur les deux tours de New York ? Tom Clancy l’a cependant imaginé dans son roman Sur ordre, paru en 1996. Impossible l’existence d’un facteur invisible d’infection proposée par le malheureux Semmelweis ?

 

Ces dernières années, ma réflexion s’est étendue à la manière dont nous vivons nos vies personnelles, car ce triple filtre des possibles, impossibles et non-impossibles, évidemment nous confine. J’ai raconté ailleurs comment il me fallut la menace subite d’une grave maladie pour que je sorte de l’invisible prison que je m’étais construite et que je m’ouvre à la possibilité de devenir ce que jusque là je n’aurais pu ni souhaiter ni même imaginer. Les personnes qui recourent aux Approches narratives font la même expérience quand elles prospectent patiemment dans leur autobiographie les « fines traces » de celui ou celle qu’il y a en eux à leur insu, qu’une histoire dominante a refoulé.

 

 

Je vous propose de nous retrouver ici pour, en échangeant si vous le souhaitez nos expériences du confinement, prendre soin de nos besoins physiques, psychologiques et, osons le mot, spirituels. Et aussi pour préparer notre retour à la liberté.

 

Tirées de mon expérience, voici quelques questions qui pourraient recéler un peu de pertinence:


Quels sont les principaux possibles, impossibles et non-impossibles que vous avez vu basculer dans votre vie ?


Quels sont les principaux possibles, impossibles et non-impossibles qui pourraient basculer dans un proche avenir ?


Dans ce cadre, quel bien pourriez-vous vous faire à vous-même ?

 

19/03/2020

J'ai fait l'expérience du confinement

 

 

A l’âge de dix-sept ans, alors que j’attendais avec impatience mes vacances annuelles aux Sables d’Olonne, on me diagnostiqua au printemps une tuberculose pulmonaire. Ayant eu le BCG comme toute ma génération, vivant dans un milieu tout ce qu’il y a de propre et bien nourri, c’était étrange. Mais, depuis quelque temps, je me réveillais en sueur au milieu de la nuit et je percevais au creux de ma poitrine une sorte de râle très discret. J’eus ainsi moi-même le soupçon qu’une radiographie des poumons confirma. Et la sanction tomba : antibiotiques en cachets et en piqûres, analyse régulière des crachats, examen périodique des poumons, repos et confinement. Pas d’activité physique et, le pire, surtout pas de séjour à la mer. 

 

 

A l’époque, le mot « confinement » ne fut pas davantage prononcé par le pneumologue que par Emmanuel Macron l’autre soir. Mais, de même qu’aujourd’hui, il s’agissait bien de cela. C’était même pire : je pouvais être soigné à domicile pourvu que je restasse dans ma chambre, couché, jour et nuit, sans voir personne d’autre que mon père et ma mère. Et cela pendant un an. Ensuite, il y aurait une année de plus où je n’aurais pas davantage le droit de sortir mais où je pourrais me lever quelques heures par jour. Bref - si je puis dire - une réclusion certes confortable mais de deux années. Deux années ! Grâce à ces mesures, mes poumons cicatrisèrent et je n’ai jamais eu à souffrir de la moindre séquelle ou pneumopathie quelconque. J’exprime d’ailleurs ma reconnaissance à feu le Dr Le Nouène, du dispensaire de Villeneuve-sur-Lot, un homme intelligent et humain que je vois encore, assis derrière sa machine, protégé des radiations par son tablier de plomb.

 

 

Mais, psychologiquement, ce fut d’abord très dur. Je fus terriblement abattu de voir se dérober, à quinze jours du départ, ce répit annuel que je trouvais aux Sables d’Olonne, que j’attendais d’une année sur l’autre. Sur un autre plan, cependant, cette interruption de la vie « normale » m’apportait un soulagement. To make a long story short, arrivé au lycée en tant qu’excellent élève, j’avais vu mes notes décliner au fur et à mesure des années, y compris dans les matières que jusque là je maîtrisais sans effort. Cela reste encore un mystère pour moi. Si l’on accepte la théorie psychosomatique, il se peut que cette tuberculose dénonçait quelque chose qui, dans ma vie, n’était pas juste. 

 

 

Le lycée quitté, je réalisai que les autres continuaient à apprendre, et cela me mit mal à l’aise. J’étais comme un marin abandonné qui voit s’éloigner le navire. L’institution scolaire m’avait pesé, mais, celle-ci écartée, l’exigence de mon besoin d’apprendre se manifesta de nouveau. C’est ainsi que, d’opportunité d’un long pas de côté, mon confinement devint une opportunité de me cultiver. J’avais vu dans ses Confessions que Jean-Jacques Rousseau, alors pensionnaire de Madame de Warens, s’était fait un programme d’études. Cela m’inspira et je m’en fis un. Chaque journée de ces deux années de confinement fut ainsi rythmée, d’heure en heure, par des thèmes de lecture, des émissions de radio et des cours de langue sur vynile. 

 

 

Face aujourd’hui à un confinement dont la durée nous échappe, nous avons plusieurs enjeux. D’abord, et c’est évident, celui de la santé physique, la nôtre et celle de nos semblables que nous pourrions contaminer. Mais, sauf pour une minorité d’asociaux, au bout de quelques jours ou de quelque semaines, le confinement pourra se révéler éprouvant. Nous sommes des êtres de chair et d’âme, réduire notre environnement relationnel à des mails, des chats ou des visioconférences ne comble pas ce qui nous fait humains. Mais il y a plus : nous avons aussi un besoin de sens. Or, cette agression perpétrée par un agent jusque là inconnu de nous et aussi omniprésent qu’invisible, ces mesures de confinement inouïes prises par un pouvoir politique dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas entretenu notre confiance, les flottements des scientifiques quant à l’origine et aux traitements de la pathologie, tout cela exacerbe le sentiment d’absurdité que nous pouvons avoir de cette situation.

 

 

Nul doute que cette période de retrait que nous n’avons pas choisie engendrera des malaises, des prises de conscience et peut-être des bifurcations dans la vie de beaucoup d’entre nous. On peut en espérer un retour de la transcendance qu’a évacuée le récit matérialiste de nos sociétés. Cette transcendance qui permettrait de remettre à leur place les idéologies, les croyances, les modes de vie et les comportements qui détruisent le Vivant. L’âme, disait le philosophe Alain, est ce qui dit non. N’est-il pas significatif que la crise que nous vivons, qui menace notre machine économique et financière, allége en même temps notre empreinte écologique ? Lorsqu’elle relâchera son étreinte, retournerons-nous à nos errements ou saurons-nous leur dire « non » ? 

 

 

Je vous propose de nous retrouver ici pour, en échangeant si vous le souhaitez nos expériences du confinement, prendre soin de nos besoins physiques, psychologiques et, osons le mot, spirituels. Et préparer notre retour à la liberté.

 

 

Je vous laisse avec quelques questions inspirées de mon expérience:

 

- Que pourriez-vous cultiver pour faire de ce confinement non choisi une opportunité ?

 

- Quel soulagement ce confinement vous apporte-t-il ? 

 

- Qu'est-ce que cela peut dire d'un éventuel déséquilibre dans votre vie ?