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22/02/2008

Société et violence (3)

 

 

Cette note figure désormais dans le recueil

Les ombres de la caverne

Editions Hermann, juillet 2011

08/02/2008

De deux stratégies

La stratégie la plus répandue aujourd’hui, dans nos sociétés, est celle du projet. On se représente un objectif à atteindre. On fait ce qu’on appelle en général un «état des lieux» et, de manière plus ou moins consciente, on modélise la situation qu’il décrit. Puis on conçoit – et on met en place - des « leviers » qui vont faire évoluer cette situation vers l’objectif qu’on a choisi. Ce qui caractérise cette stratégie, c’est la suprématie de la construction mentale. Son efficacité suppose que l’inventaire initial n’oublie rien et que les interactions entre les éléments qui composent le système dont on veut modifier la trajectoire soient toutes concevables. Elle est l’héritière de Newton et du «monde horloge».

L’expérience, cependant, vérifie souvent ce que disait Napoléon : « Il n’arrive que l’imprévu ». On parlera alors d’erreur, ce qui laisse d’abord entendre que la source du problème est la fiabilité des informations utilisées. Ce n’est pas faux. C’est même surtout plus vrai qu’on le pense : de fait, l’information - toujours - est erronée ! Elle l’est pas nature : ce que nous percevons du monde n’est que reflets d’une réalité qui nous échappe, et les édifices mentaux que nous élevons dans nos têtes ou sur nos ordinateurs ne sont – et ne peuvent être – qu’une réduction bestiale de la complexité du réel. Savoir tout est impossible et penser toutes les interactions dépasse les capacités de notre intelligence. Il faudrait donc garder à l’esprit que, n’embrassant que des abrégés de la réalité, notre démarche prétendument rationnelle repose en fait sur une succession de paris. Entre le Charybde de ce que nous ignorons et le Scylla de nos insuffisances, réside en fait surtout l’espoir que nous réussirons à passer !

Je n’ai évoqué que le registre des projets, c’est-à-dire de ce que nous nous efforçons, en dépit de nos insuffisances, de mettre en œuvre. Il faut aussi évoquer ce que, nous appuyant sur le même socle fragile, nous décidons de ne pas mettre en œuvre. Tout ce que, sans prudence aucune et surtout sans humilité, nous jugeons irréaliste, irréalisable ou inintéressant et que, au final, nous interdisons de vie. Un versant caché de l’Histoire est celui des choses que les humains ont écartées. Nous est-il cependant loisible de procéder différemment ? Jean-Marie Betsch, professeur au département Ecologie et gestion de la biodiversité au Museum d'Histoire Naturelle, montre comment les "archaïques" inventent l’agriculture en dialoguant avec la nature. Le dialogue, vous savez : quand on est deux à s’exprimer… Sans violence. Sans « projet »…

01/02/2008

Passagers du silence

Quand j’ai lu lors de sa parution La Passagère du Silence, une observation de l’auteure a retenu mon attention : plus efficace que la censure, disait-elle, était l’autocensure. En l’occurrence, il s’agissait de la Chine de Mao où, dans une semi-clandestinité, Fabienne Verdier avait passé une dizaine d’années à apprendre un art « bourgeois » entre tous : celui de la calligraphie traditionnelle. Depuis lors, j’ai regardé de plus près la façon dont fonctionnent nos organisations. Indéniablement, l’autocensure y joue un rôle non négligeable. Machiavel me murmure que c’est l’huile qui lubrifie les rouages et leur permet de tourner plus vite dans le sens désiré ! Je vois bien ce qu’il veut dire, mais je forme une hypothèse complémentaire en ce qui concerne nos organisations: l’autocensure amplifie les interdits et, ce faisant, elle nuit à la fécondité.

Je suis fasciné par l’histoire des frères Lumière. Les Lumière sont des entrepreneurs de génie. Ils ont inventé, techniquement, le cinéma. Ils ont déployé - à l’échelle planétaire - de nouveaux métiers, une nouvelle façon de s’instruire, une nouvelle forme de culture. Mais, quand Pathé survient et leur parle du film de fiction, ils ne le prennent pas au sérieux. Pour eux, le vrai cinéma est à jamais documentaire. Leur jugement définitif n’entravera en rien le développement que nous connaissons. Simplement, il se fera sans eux. Imaginons que Pathé ait été l’un de leurs collaborateurs. Selon vous, cela aurait-il été différent ? Peut-être les choses n'en auraient-elles été que plus difficiles pour lui. Il aurait eu contre son idée non seulement l’opinion de ses patrons mais encore toutes les croyances de son milieu professionnel. Au risque du rejet se serait ajouté celui qu’il renonce de lui-même. Au mieux, il serait allé tenter ailleurs sa chance. Retour, donc, à la case « départ ».

Fabrice Micheau, qui m’a fait découvrir Michael White et le courant du « récit », animait la semaine dernière un de mes séminaires. Il analysait de tels phénomènes d’affrontements et de rejets en termes de relation entre une «culture dominante» et des «contre-cultures». Toute culture dominante est le résultat d’une réussite. Mais la marque d’une culture dominante est son intolérance : forte de ce qui lui a réussi, elle se juge détentrice de la vérité et il lui semble légitime de condamner et d’exclure. Elle se veut exclusive. Souvent, en outre, les seconds-couteaux, plus royalistes que le roi lui-même mais aussi d’esprit plus étroit, se livrent à la chasse aux sorcières. Ce faisant, la culture dominante s’enfonce dans la cécité et l’arrogance – les deux vont de pair - et prépare le terrain à l’erreur mortelle. A l’inverse, les contre-cultures qu’héberge nolens volens l’organisme, parce qu’elles sont les signaux, d’abord faibles, de ce qui est en germe, peuvent constituer le vivier de l’avenir. A tout le moins, elles peuvent aider à le comprendre. La pérennité d’une organisation dépend, paradoxalement, de sa capacité à accueillir la déviance en son sein. Une véritable ascèse, vous en conviendrez.