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05/05/2019

« Seven » et la transition écologique: l'Avarice

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 Certains d’entre vous auront peut-être vu Seven, ce film policier de David Fincher, sorti en 1996, où les trois principaux rôles sont tenus par Brad Pitt, Morgan Freeman et Kevin Spacey. Un assassin comme on ne peut en concevoir qu’aux Etats-unis, c’est-à-dire qui se veut un justicier tout en faisant preuve d’une imagination singulièrement perverse, commet successivement sept meurtres. Chacun est censé illustrer l’un des sept péchés capitaux. Le premier, la Gourmandise, sera représenté par un obèse que l’assassin a aidé à mourir d’indigestion. L’enquête policière démarre là-dessus et elle rebondira ainsi de péché en péché jusqu’au septième où Brad Pitt lui-même se fera piéger. 

 

Evidemment, la référence aux sept péchés capitaux a des relents de religion moralisatrice et nous sommes bien aise que la modernité nous ait enlevé ce carcan. Cependant, si l’on réfléchit aux maux dont souffre la Planète, il y a de quoi se demander si ces vieilles catégories n’ont pas conservé de leur pertinence. Les péchés capitaux, je vous les rappelle, sont: l’Avarice, la Colère, l’Envie, la Gourmandise, la Luxure, l’Orgueil et la Paresse (1). On peut les appeler des péchés, on pourrait les appeler des passions ou des dérives si l’on veut se détacher du vocabulaire ecclésiastique. En hébreu, langue de la Bible qui introduisit la notion de péché, celle-ci est représentée par un mot qui signifie « ce qui manque son but ». 

 

Quelles sont les possibles relations de ces sept péchés avec la situation de la Planète ?

 

L’Avarice

 

Entendons l’Avarice comme la passion de l’argent et, d’emblée, relevons une caractéristique déterminante: le désir d’enrichissement n’atteint jamais la satiété. Son essence est d’être sans limite. Carlos Ghosn en donne un exemple: non content de ses rémunérations mirifiques, il lui a fallu encore tricher fiscalement et, plutôt que ralentir l’accroissement de son capital, faire prendre en charge des centaines de milliers d’euros de dépenses personnelles par la société qui l’employait. Ce cas est loin d’être unique même si, dans son ampleur, il sort de l’ordinaire. On peut faire, dans ce domaine, un deuxième constat. Ces dernières années, les grandes fortunes ont connu un accroissement considérable (3). Pour autant, leurs détenteurs sont toujours aussi soucieux de contourner la fiscalité, de faire voter des lois qui leur soient favorables, de limiter le coût de l’Etat ainsi que les salaires qu’il faut hélas! verser aux gueux. Face à l’appel impérieux, obsessionnel, de ce « toujours plus », les principes moraux ne peuvent que reculer. Faire fructifier le capital et, au delà, se montrer le meilleur dans ce domaine suppose que l’on ne soit pas trop regardant sur les investissements qui rapportent. L’envoutement d’un patrimoine à faire croître à l’infini amène ses possesseurs à détourner pudiquement les yeux de ce qui pourrait leur causer des cas de conscience. Cachez ces effets que je ne saurais voir!

 

L’économiste Gaël Giraud raconte qu’ayant discuté des menaces qui pèsent sur la Planète avec des financiers de Londres, il s’est trouvé face à des personnes parfaitement informées mais qui haussaient les épaules. En résumé:  « Nous avons mis des décennies à construire notre système, à convaincre les Etats de la justesse de nos lois, nous ne pouvons pas faire machine arrière. Nous comptons sur la Chine, qui a d’autres logiques, pour faire ce que nous ne voulons pas faire » (4). Autrement dit: « Perdre un centime ? Vous n’y pensez pas ! A d’autres !» S’expriment là deux des six récits dominants - pour ne pas dire dominateurs - que dénoncent mes amis de la Fabrique Narrative  (5): le monde doit s’organiser autour de la valeur pour l’actionnaire et il est impossible que la vie soit autre chose qu’une compétition. Mais, des actionnaires, croyez-vous qu’il n’en est que de gros ? N’y en a-t-il pas un bon nombre de petits qui, en toute bonne conscience, grappillent leur part d’amateurs dans l’ombre des grands champions ? Revenons à notre sujet : n’y a-t-il pas des myriades de modestes investisseurs qui espèrent devenir riches grâce au Bitcoin, ce système purement spéculatif dont la consommation énergétique est équivalente à celle d’un pays de dix millions d’habitants ? (6)

 

Ce qui amène une autre considération: le péché capital ne contamine pas les seuls comportements individuels. Par projection, il se transmet aux monstres industriels et financiers que nous avons engendrés. Ceux-ci, comme l’a montré Alain Gras (7), finissent par s’autonomiser, c’est-à-dire par considérer leur destin comme distinct du monde qu’ils habitent. Sinon, comment pourraient-ils continuer à produire des substances toxiques, comme le font Monsanto et Bayer, ou, à l’instar de tant d’autres, à entraîner la disparition de la diversité animale et végétale de la Planète ? Par effet de rétroaction, l’homme - qui les a créés - est à son tour modelé par eux (8). A l’intérieur de ces organisations, dans le bocal qu’elles se sont fabriqué, le management - on pourrait dire: la sélection et le dressage - assure la production de la variété humaine dont elles ont besoin: celle qui considère son activité comme une simple compétition dont les dégâts collatéraux sont à négliger. Qui n’aura, par exemple, aucune vergogne à faire déforester des millions d’hectares (9), à placer des produits financiers pourris (10) ou encore à mettre des pays à genou (11). 

 

En dehors du bocal, la promotion obsédante de la consommation fait le reste, donnant aux masses d’autres intérêts que celui de comprendre de ce qui se passe. La boucle est bouclée. En quête de récits à partager, la société elle-même, à travers les exemples qu’elle monte en épingle, fait en sorte que la représentation de la réussite la plus répandue soit en phase avec le moteur de ce monde. Le mythe de la start up, cette idée qui, avec la magie d’un miracle, rendra multi-millionnaire le squatteur d’un garage, n’est-il pas un révélateur de la fascination de l’époque pour l’enrichissement à outrance ?

 

A suivre.

 

NOTES

J’ai parsemé cette première partie de l’article de nombre de notes que, par souci de simplifier la lecture, j'ai regroupées ci-dessous. Je m’engage à essayer d'en mettre moins dans la suite de mon propos!

(1) J’ai repris la liste établie par saint Thomas d’Aquin. Afin de me démarquer de M. Gattaz (2) et de Mme Ndiaye, je précise qu’il s’agit bien de l’auteur de la Somme théologique et non de l’apôtre Thomas le Didyme qui douta de la résurrection du Christ jusqu’à ce qu’il eût rencontré le Crucifié et mis ses doigts dans ses plaies.

(2) https://www.lepoint.fr/insolite/quand-gattaz-confond-sain...

(3) La fortune des 2000 milliardaires du monde a augmenté de 20% en un an: https://www.lci.fr/social/la-fortune-des-2000-milliardaires-dans-le-monde-a-augmente-de-20-en-un-an-du-jamais-vu-2102745.html Parallèlement, les 1% les plus fortunés ont accaparé 82% des richesses créées : https://www.latribune.fr/economie/les-1-les-plus-fortunes... et vingt-six personnes possédaient autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité : https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/26-mi...


(4) Cf. https://www.youtube.com/watch?v=qWdL5VtFCxQ&feature=s...

(5) http://www.lafabriquenarrative.org/blog/blog/neurophysiol...

(6) Le fonctionnement du « système Bitcoin » consomme près de 30,14 milliards de kilowatts-heure par an, soit l'équivalent de l’électricité produite par quatre centrales nucléaires ou, peu ou prou, de la consommation de la Hongrie: https://www.lepoint.fr/argent/l-impact-ecologique-desastreux-du-bitcoin-29-11-2017-2176015_29.php Autre information: https://interestingengineering.com/bitcoin-causes-around-...

(7) Alain Gras, Le choix du feu, Fayard, 2007.

(8) Cf. Edgar Morin sur la complexité.

(9) Exemple: https://www.nationalgeographic.fr/animaux/indonesie-lhuil... .

(10) Aux dernières nouvelles, le sauvetage des banques suite à la crise des subprimes aura coûté 4.589 milliards d’euros aux Etats européens: https://www.20minutes.fr/economie/632127-20101201-economi...

(11) L’un des hauts-faits de Soros, qui se prend pour le prophète d’un monde meilleur. Voir aussi le « sauvetage » de la Grèce.

18/04/2019

Notre-Dame

 

 

J’ai pleuré, oui, j’ai pleuré. Quand un de mes fils, me sachant en déplacement, m’a envoyé ses SMS avec les images de l’incendie, j’en ai eu les larmes aux yeux. Autour de moi, dans le train, personne ne semblait au courant, en tout cas personne n’en parlait. Je n'ai rien dit. Sur le moment, la peine était trop intime. Une fois arrivé à destination, la télévision m’a montré que je n’étais pas seul. Pas le seul à savoir, pas le seul à être en deuil. Et, avec nous, spectateurs impuissants, il y avait dans cette communion tragique des pompiers courageux qui luttaient contre l’immensité de la destruction et un prêtre héroïque qui sauvait les reliques et le Saint-Sacrement. 

 

Là-dessus, sont apparues les pollutions habituelles. Les egos et les opportunismes, essoufflés de la peur de se faire doubler, se sont précipités sur la scène. Ce fut à qui exprimerait le plus brillamment le drame de cette destruction et son empathie avec ceux qui en souffraient. Il faut reconnaître qu'il y eut de belles expressions. Ce fut, ensuite, à qui ferait miroiter le plus gros tas de ducats. Puis, infimes minoritaires, ceux que cela faisait rire ou grimacer. « On s’en balek ». Moi, même si je trouvais ridicule l’attendrissement d’un membre de ma famille sur je ne sais quoi, je ne m’en moquerais pas, j’aurais de l’empathie, je le respecterais dans ce qu’il ressent. Et là-dessus, à peine plus vils, il y a des escrocs qui recueillent des dons qu'ils mettent dans leur poche. Mais passons. 

 

On ne reviendra pas en arrière. Cet évènement terrible, chargé de symboles, nous offre de réfléchir. 

 

Aujourd’hui, la reconstruction ne semble faire aucun doute. L’argent, si rare, a resurgi des coffre-forts. On ne parle plus de la dette qui nous écrase et des nécessaires privations. Les fortunes privées, exonérées d’impôts, ont élu Notre-Dame pour manifester leur générosité. On se croirait revenu à l'époque des indulgences, mais c'est plutôt le temps des selfies - des selfies de luxe. Plus émouvant, même les moins aisés sont prêts à ouvrir leur portefeuille parfois étique. Mais voyez-vous ce que cela signifie ? "Notre-Dame de Paris, oui, Les Misérables, non!" L’Etat s’est démuni du pouvoir et des moyens de faire une politique. La décision, l’initiative, les choix, en reviennent au privé qui, grâce à ses évasions ou privilèges fiscaux, a maintenant la main sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire dans le pays. En passant, les millions écrasent les pièces jaunes de Madame Michu: ce sont eux qui décideront peut-être des modalités de la reconstruction de Notre-Dame. Ils en profiteront pour se l'approprier. 

 

Il a fallu cent-sept ans pour construire Notre-Dame de Paris. Ce fut une entreprise qui dépassait à l’époque plusieurs fois le cours normal d’une vie humaine. Cette durée était la noblesse et le sens de ce chantier. Pour ceux qui décidaient, pour ceux qui le finançaient, pour ceux qui y travaillaient, pour ceux qui le voyaient progresser pas à pas, pierre à pierre. Pour la plupart, ils n’en verraient pas la fin et le savaient. C’est une leçon pour nous, êtres évanescents de ce début du troisième millénaire. Mais, si l'on considère la dimension du temps, il y a bien davantage que les cent-sept ans des hommes. Il y a la forêt primaire qui, surexploitée, repoussée par les cultures, n’existe plus. Avec l’incendie ont disparu les chênes plus que centenaires qui composaient la charpente de la cathédrale. Nous pourrons aller au bois, nous n'en trouverons plus. Aux cent-sept ans des hommes s’ajoutaient les cycles longs de la nature, ces cycles que nous avons rompus. 

 

Le temps long, trans-générationnel, a disparu de nos modèles mentaux. Il faut faire vite. Il faut vite tirer profit de cet évènement sinistre. Il faut vite rassembler les moyens et les compétences et il faut vite reconstruire, vite engranger les bénéfices. La vitesse, ici, est un sabordage du sens de Notre-Dame, sens à défaut duquel elle n’est qu’un assemblage de pierres et de bois qu’aucun esprit ne traverse, ne suranime. A voir se précipiter les grandes fortunes, les zélés politiciens et bientôt les bâtisseurs d’aéroports, j’ai l’impression de sauveurs qui violent la vierge qu’il viennent d’extraire du feu. 

 

Je pense, tout à l’opposé de cette frénésie, à mes amis Béatrice et Gérard Barras et à leur restauration, sur plusieurs décennies, de ce village perché au dessus de l’Ardèche: le Viel-Odon. Ils n’ont pas restauré seulement des murs et des charpentes. Ils ont édifié des vies: les milliers de jeunes qui sont venus prendre part au chantier ne seront jamais les mêmes, n’oublieront jamais ce que leur ont apporté leurs vacances laborieuses, ce mois d'été à charrier des pierres, à porter de l'eau et à gâcher le ciment. 

 

Mais, me direz-vous, on ne peut comparer un village d’une vingtaine de feux avec une cathédrale. Les organisations compagnoniques se sont manifestées. Notre-Dame peut redevenir le creuset où l’énergie humaine se transcende. 

20/03/2019

De l’empoisonnement invisible de la vie démocratique (suite)

 

Les médias de masse ont une spécialité: construire des entonnoirs dans lesquels les naïfs tombent en croyant qu'il n'y a rien à l'extérieur. Voilà ce que sont aujourd’hui une campagne et des élections démocratiques: un entonnoir. Cela démontre une chose, c’est que l’on ne fait pas vivre la démocratie en se réveillant à la veille des élections pour choisir un candidat comme l’on parie au tiercé avant de se rendormir. On ne la fait pas vivre à accepter, mandat après mandat, de jouer avec des dés pipés, de choisir les hommes et les femmes qui dirigeront la France et la représenteront, comme on choisit les acteurs d’une série télévisée, dans un casting manipulé qui mène inéluctablement au vote dit « utile ».

 

Faire vivre la démocratie suppose de discerner ces pièges, de réfléchir et de penser, en particulier dans une perspective à long terme. Réfléchir, réfléchir vraiment, exige de prendre du recul, de mettre de la distance avec les émotions du moment, de s’intéresser à l’histoire qui traverse les siècles et de se méfier des productions médiatiques. J‘emploie à dessein ce terme de « production », car les médias de masse, tout en donnant l’impression qu’ils sont objectifs - un cinéaste pourrait vous dire qu’il n’y a rien de moins objectif qu’une image - sont devenus maîtres en storytelling. Ce qu’ils appellent traitement de l’information est, sur le mode d’un zapping accéléré, un assemblage de symboles, de petites phrases, destiné à jouer sur vos réactions émotionnelles et à téléguider votre interprétation des évènements.

 

En outre, en reprenant une vision au ras du sol, la guerre pour votre attention est permanente, et, du point de vue ergonomique, penser est devenu une gageure. Beaucoup de nos outils quotidiens et des habitudes qu’ils ont entraînées conspirent pour rompre sans cesse le fil de notre réflexion. D’incessantes intrusions nous invitent à l’émiettement. Ne parlons pas du téléphone portable qui, au surplus, "rapproche de ceux qui sont loin et éloigne de ceux qui sont proches ». Mais observez simplement ce qui se passe quand vous êtes devant votre écran à rédiger un article, un projet ou un message. Des « notifications » visuelles et sonores vous annoncent au fur et à mesure les messages entrants. « Tiens, vous dites-vous alors, un message d’Untel ? Que me veut-il ? » Autre scénario: vous êtes sur Facebook en train de lire un article ou de rédiger un « post ». A tout moment, on vous signale que Pierre, Paul ou Jacques a rédigé un commentaire. Qu’ont-ils bien pu écrire ? Vous mettez le doigt dans l’engrenage et pour peu que l’un de ces commentaires vous excite la bile, cela va vous coûter plusieurs minutes de votre temps et achever de ruiner votre concentration.

 

Vous tentez une diète du même Facebook ? Des alertes vous informent jusque dans votre boîte-aux-lettres que tel « ami » a fait ceci ou cela. Lorsque je vois le nom de certains qui sont particulièrement drôles ou talentueux, je dois résister à l’envie d’aller voir. Allons maintenant piocher dans les mails eux-mêmes. Celui-ci me propose de signer une pétition sur le sort des éléphants d'Afrique. Une cause qui m’est chère: comment passer outre ? Un autre me parle d’une réunion sur un de ces sujets qu’il est bon d’approfondir: la transition écologique, le management participatif, que sais-je ? J’ai tant de sujets d’intérêt que je suis facile à piéger ! Bien sûr, je pourrais les mettre à la poubelle sans les lire. Mais... si je manquais une information importante ? Si ma voix faisait défaut à une cause que j’ai à coeur de soutenir ? Me voilà, fébrile, à parcourir tous ces mails.

 


Essayez d’évaluer le temps que vous passez ainsi à rebondir, comme une balle de pingpong, de mail en pop up et de pop up en notifications. Ajoutez-y celui où vous vous laissez happer par votre « vie de consommateur ». Imaginez maintenant que, de ce temps-là, vous repreniez un bout pour le consacrer à ce que j’appelle « la vie démocratique ». Peut-être allez-vous me répondre qu’au terme d'une journée de travail, vous manquez un peu d’énergie. Et qu’au terme d'une semaine, se soucier de consommation, faire la patate de canapé, est plus agréable que se réunir avec ses semblables pour réfléchir et échanger. Que de tentations plus simples, plus délicieuses, que la démocratie !

(à suivre)