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19/10/2009

Mort aux figuiers!

Y a-t-il un hasard ?

 

Ce matin, je lis sur Wanadoo un article qui évoque la récupération, en Italie, de milliers de tonnes d’aliments invendus par les hypermarchés pour les mettre à disposition des miséreux. A l’origine, un homme qui mérite d’être cité : Andrea Segré, professeur d'économie agroalimentaire à la Faculté d'agronomie de Bologne. Le gâchis là-bas est de l'ordre de 240 000 tonnes d'aliments encore consommables.

 

http://actu.orange.fr/environnement/initiatives/les-invendus-des-supermarches-au-menu-de-l-aide-alimentaire-111.html

 

Or, quelques minutes plus tard, en remontant une rue de notre capitale, je vois une pauvre femme qui, avec son gamin de quatre ou cinq ans, fouille dans un container. La scène d’abord me fend le cœur, puis elle me surprend : de la poubelle je les vois retirer de magnifiques concombres encore enveloppés de leur blister. Et là, je pense à l’article de Wanadoo et je saisis concrètement tout le paradoxe haïssable de notre société. Nous épuisons la terre pour produire des aliments que nous jetons, alors même qu’un nombre croissant d’entre nous en est réduit à fouiller les poubelles pour se nourrir. Vous trouvez cela bien ?

 

Vous allez me dire : oui, mais... la règlementation, les distorsions de concurrence, etc. C’est une fois encore l’histoire du figuier. Souvenez-vous : Jésus avait envie d'une figue et le figuier n’en offrait pas. Il avait une bonne excuse, le figuier: l'évangéliste précise que ce n’était pas la saison des figues! Eh ! bien, Jésus l'a quand même flétri! Il n’y a pas de saison pour être intelligent. Il n’y a pas de saison pour le cœur.

 

Voici le site de l’association italienne : www.lastminutemarket.org

 

On fait quelque chose ?

18/10/2009

Le complexe de Frankenstein

On peut louer le projet  Millenium seed bank et l’effort des botanistes pour recueillir et conserver les semences des plantes menacées – et devinez par qui elles le sont ? – à la surface de la Terre. En neuf ans, dans cinquante-quatre pays, 24 200 espèces ont été ainsi collectées.

 

24 200 ! Impressionnant, n’est-ce pas ? Surtout si l’on ajoute que ces semences sont tenues dans des conditions d’hygrométrie et de température spécifiques afin qu’elles conservent leur capacité germinative.  Pour autant, ces 24200 plantes-là ne représentent que dix pour cent de notre patrimoine terrestre. A cette allure, il faudra compter encore quatre-vingt-dix ans et des installations formidables pour constituer cette Arche de Noé des végétaux. D’ici là, que ce sera-t-il passé ?

 

Pour moi, malgré l’intérêt indéniable de ce projet, c’est un peu comme si on décidait de mettre au réfrigérateur les victimes des guerres dans l’espoir de pouvoir un jour leur rendre, dans un monde meilleur, la vie qu’on leur a prise. Beau sujet pour un écrivain de science-fiction que le drame de ces malheureux ressuscités dans une société qui ne représente rien pour eux, au milieu d’une population qui leur est étrangère. Et je me dis : ne vaudrait-il pas mieux arrêter tout de suite de tuer ?

 

Dans le même esprit d’ailleurs, arriverait-on à mettre en banque et à faire fructifier les semences de tous les végétaux de la planète qu’on ne pourrait reconstituer l’orchestre qu’ils formaient, ces milliards de subtiles et complexes interactions qui ont mis des millions d’années à s’accorder et qui avaient donné à la vie une résilience que nous sommes en train de lui enlever. D'ailleurs, il manquerait à cet orchestre tout ce que lui apporte, en en accroissant encore la complexité, les autres règnes de la nature: les animaux, les bactéries, les champignons, etc.

 

On pourrait reprendre ici l'image de Teilhard de Chardin: "la maille de l'univers, c'est l'univers lui-même". Mais nous sommes encore les victimes du complexe de Frankenstein : nous croyons qu’il suffit de collationner et d’assembler des morceaux pour que la vie soit là. Présomption ou aveuglement ?

11/10/2009

La route

Le roman de Cormac MacCarthy "La route" (merci à Martine de me l’avoir fait lire) est emblématique dans le dépouillement de son propos: l’errance d’un homme et d’un enfant dans un monde de suie, calciné, réduit à la couleur du charbon, un monde de peur où les êtres humains sont des loups les uns pour les autres et où on marche parce que marcher est la seule manière de conjurer le désespoir. On a le droit de rejeter cette vision en se gaussant. Pour dérangeante qu’elle soit, elle peut cependant nous dire deux choses. La première, explicite, est en forme d’avertissement : nous sommes en train de détruire le monde et voilà ce qu’il peut devenir. La seconde nous renseigne sur les fantasmes qui nous hantent aujourd’hui et sur lesquels nous devrions nous interroger. Car le livre a eu un grand succès, ce qui montre - au-delà du talent du narrateur - sa résonance avec le Zeitgeist ou à tout le moins avec un ressenti largement répandu.

 

Parmi les experts qui se projettent dans l’avenir, les plus nombreux une fois qu’ils ont fait leur grand écart n’imaginent en fait qu’une simple variation autour du présent que nous avons sous les yeux. Ils nous resservent sans cesse la même choucroute : ne varie que le dosage entre les différentes variétés de saucisse. Ne leur demandez pas d’imaginer le couscous ou le cassoulet : cela relève pour eux d’univers impossibles. Ce serait anecdotique si ces gens-là n’étaient nombreux, persuasifs et, en définitive, dangereux. Ils jouissent souvent, en effet, d’une autorité qui leur permet de nous enfermer dans les limitations de leur pensée et jouent sur ce qui nous rassure : plus cela changera, plus ce sera comme aujourd’hui. Or, tout au contraire, ce qu’il faudrait en cette période cruciale, c’est nous délivrer des représentations qui encouragent à faire durer un monde qui atteint sa phase terminale et peut nous entraîner dans sa décomposition.  

 

Rares sont ceux qui mettent en question les bases même de nos projections sur l’avenir. On les trouvera plutôt chez les romanciers. C’est un auteur de science-fiction, Morgan Robertson, qui imagine quatorze ans avant l’évènement, avec une précision confondante, la tragédie du Titanic. Plus libres de leur imagination, mais aussi par nature observateurs tous azimuts, les conteurs d’histoire voient les ressorts qui passent inaperçus aux yeux des spécialistes. La faiblesse du Titan, c’est moins sa conception que l’hybris de ses créateurs et de son capitaine. Vous pouvez faire un rapprochement avec la crise actuelle qui, comme l’analysent entre autres Hervé Juvin ou Bernard Stiegler, est d’abord anthropologique.

 

J’ai en ce moment à l’esprit des romans d’Henri Bordage, de Jean-Michel Truong et le film The Island. Les conteurs savent brasser l’hétérogène. C’est une aptitude aussi indispensable que peu répandue. Ils hybrident – parce qu’ils ont la licence mais aussi le culot et le talent de le faire - des registres qu’on ne pense pas à rapprocher, les faisant accoucher de perspectives inattendues. Ils enfantent ce qui ressemble pour nous à des monstres. Ils n’ont fait cependant que combiner au sein de configurations dont le passé abonde, des ingrédients largement répandus dans notre société: dérives psychologiques banales, modèles économiques et situations politiques ordinaires. Mais toutes poussées un peu au delà de leur niveau habituel.

 

Ce ne sont que monstres invraisemblables si nous croyons encore que « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » et oublions les leçons de l’Histoire. Par exemple celle que nous rappelle, près de Strasbourg, le camp du Struthof qu’on peut désormais visiter. Les chambres à gaz et les expériences sur l’humain résultent du  croisement d’un raisonnement bureaucratique et industriel ordinaire avec une vision eugéniste du progrès et la dérive d’un peuple humilié. Dans Le Successeur de pierre, la situation du héros n’est que la réalisation de l’individualisme parfait au sein du rêve ultralibéral que l’auteur croise avec l’utopie Internet. L’intérêt de ce récit n’est pas dans sa dimension prédictive. Il est dans l’alerte à nos dérives et à leurs synergies dangereuses.   

 

Qu’ils nous parlent par symboles ou plus trivialement, les conteurs ont ainsi plus de chance que les professionnels de la prospective d’ouvrir au cœur de l’invraisemblance des scénarios pertinents. Le problème, comme le souligne Rob Hopkins du réseau de Totnes Transition Town, c’est que nous n’avons à l’heure actuelle que deux grands récits à nous raconter et que tous deux ne nous aident guère : « Business as usual » ou « Mad Max ». Que faire pour en susciter un troisième, qui serait source d’énergie et d’espoir pour l’humanité ? Attendre l’apparition d’un nouveau messie comme dans L’Evangile du Serpent d’Henri Bordage ?