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28/07/2013

Vous avez dit "travail" ?

 

 

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On ne revient jamais en arrière, mais, juste pour avoir une base de comparaison, supposons que, l’un dans l’autre, le niveau de consommation du Français moyen de 1960 corresponde à ce que l’écosystème terrestre peut supporter durablement, même étendu à l’ensemble des habitants de la planète. Imaginons là-dessus que, compte tenu des progrès de la productivité, il suffise de travailler deux à trois heures par jour pour atteindre ce niveau et faire tourner l’économie. Ces deux hypothèses, au surplus, ne sont peut-être pas aussi farfelues qu’elles en ont l’air. Alors, quel est le principal problème ?

 

Je devine chez certaines personnes comme un haut-le-coeur quand on évoque une telle perspective. Cependant, je ne crois pas que ce soit par rapport au niveau de confort, mais plutôt à l'idée d'une société qui tremperait dans pareille oisiveté. Une vision quelque peu puritaine conçoit le travail comme un rempart contre les nombreux vices auxquels nous nous adonnerions si on nous en laissait le temps. Une société où les gens ne sont pas occupés à travailler la majeure partie du jour semble fragile, menacée d’instabilité et de décomposition. Que va faire la population de ce temps libre ? A défaut de travailler, à quoi sera-t-elle tentée de se livrer ?

 

Si l’impératif du travail n’est pas d’aujourd’hui - la plus célèbre injonction n’est-elle pas celle de saint Paul: «Celui qui ne travaille pas ne mange pas» ? - c’est moins en raison d’une vertu intrinsèque qu’à cause d’une économie de pénurie où celui qui ne contribue pas à l’effort commun diminue une production déjà avare et pèse sur les autres. Sinon, l’Antiquité qu’elle soit grecque, romaine ou chinoise ne loue pas le travail en tant que tel et les peuples premiers, contraints à la chasse, à la pêche et à la cueillette, ne se culpabilisent pas de savourer de longues heures d’oisiveté que seuls les colonisateurs ont qualifiées de paresse. Quant à la Bible, si elle prescrit «Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front», c’est qu’elle considère le travail non comme une vertu mais comme une punition. 

 

Mais la promotion de la valeur morale du travail - valeur que je ne suis pas en train de discuter en tant que telle - fait l’affaire de tous ceux qui veulent régner sur les autres et éventuellement les exploiter. Un peuple occupé par le labeur n’a guère le temps - ni l’énergie si la tâche est pénible - de remettre en question le système social et politique. Si, en plus, le travail est judicieusement peu rémunéré ou si la production est lourdement ponctionnée, leur consacrer l’essentiel de son temps est de l’ordre de la survie. Il y a trois institutions qui, au XIXème siècle tout au moins, se ressemblent furieusement: la caserne, l’école et l’usine. On s’y retrouve enfermé entre des murs, le temps y est régi par une autorité supérieure, la première vertu est la discipline, la surveillance est rigoureuse et l’humain y devient mécanique. Ce sont tout simplement des univers totalitaires. Ainsi dressés, il ne faut pas s’étonner que les hommes, à quelques exceptions près, acceptent de se jeter dans la folie de 14-18 et que les femmes laissent faire...

 

Mais revenons à l’oisiveté et à ses risques. Notre société compte des millions d’oisifs: les retraités. Se font-ils remarquer par leurs débauches et les désordres qu’ils sèment au sein de la société ? Tout au contraire, il me semble que la plupart entre naturellement dans cette économie de la gratuité dont on parle beaucoup: ils cultivent leur jardin, rendent service aux jeunes de la famille en gardant leurs enfants et en les emmenant en vacances, ils militent et s’impliquent dans la vie associative - qui, comme on le sait, produit des richesses essentielles, même si elles ne sont pas comptabilisées par le PIB.  

 

Certes, à l’origine, la retraite a été voulue pour soulager des tâches de survie qui leur devenaient trop pénibles des vieux qui ne tarderaient pas à mourir, et, aujourd’hui, on se retrouve avec toute une population qui est encore pleine d’énergie, dont l’espérance de vie a considérablement augmentée et qui pourrait travailler au lieu de se la couler douce. D’ailleurs, ces derniers temps, vous avez peut-être humé comme moi ces relents moralisateurs dans la bouche de certains économistes qui sont incapables de créer du travail pour les jeunes générations mais qui voudraient que les vieux reviennent en plus leur faire concurrence.

 

Mais laissons de côté les intérêts antagonistes du capitalisme qui veut payer le travail le plus chichement possible tout en vendant ses produits au tarif le plus élevé et qui résout cette contradiction en faisant produire en un lieu et consommer dans un autre. Laissons de côté la solution allemande qui privilégie la multiplication des travailleurs pauvres pour réduire le nombre des chômeurs, à se demander où passe la valeur ajoutée que crée l’activité industrielle et ce qu’apporte aux humains, en définitive, l’économie moderne. Regardons plutôt du côté des facteurs culturels qui nous empêchent d’accepter le temps de liberté que le travail des machines pourrait nous octroyer. Sans doute y a-t-il tout ce que le revenu attaché au travail permet de s’offrir d’inutile, qui plombe notre empreinte écologique tout en nous aliénant au Système. Il me semble cependant que la conscience qu’il s’agit là d’un marché de dupes est en train de s’accroître. Davantage en cause, croirais-je, est la cécité peureuse qu’exprime le dicton: on sait ce que l’on perd, on ne sait pas ce que l’on trouve. Le travail comme pivot de la vie, nous en avons fait l’apprentissage pendant des générations. Il est devenu notre conditionnement. Nous en avons fait la ressource principale à partir de laquelle obtenir un revenu, nous donner une identité et frayer avec nos semblables. Nous en avons fait aussi un bouclier contre certaines situations - ce n’est pas pour rien que l’entrée en retraite s’accompagne d’un accroissement du nombre des divorces! - et contre les questions existentielles qui pourraient nous perturber. C’est pourquoi il est naturel que nous nous trouvions angoissés ou désemparés à la seule idée qu’il viendrait à occuper beaucoup moins de place. Notre vie serait comme une maison tout d’un coup trop grande pour le mobilier que nous avons.

 

La richesse fondamentale, c’est le temps, et la vie, faut-il le rappeler, n’est faite que de temps. Les retraités de nos pays nous montrent que cette richesse est mieux que gérable: elle est désirable. Et, si on regarde la question plus au fond, ce n’est pas seulement d’une autre répartition des heures qu’il s’agit, c’est d’un tout autre rapport à l’existence. Confucius disait: « A quinze ans, je résolus d’apprendre. A trente ans, j’étais debout dans la voie. A quarante ans, je n’éprouvais plus aucun doute. A cinquante ans, je connaissais le décret du Ciel. A soixante ans j’avais une oreille parfaitement accordée. A soixante dix ans j’agissais selon les désirs de mon cœur, sans pour autant transgresser aucune règles. » Rien à voir avec l’angoisse d’occuper l’après-midi. Rien à voir avec une oisiveté dont on ne saurait que faire. Il s’agit d’un autre rapport à la vie et au monde, d’une autre civilisation. Une civilisation dont nous avons les moyens alors que l’idéologie des uns et la rapacité des autres sont en train de nous organiser une sorte de fin du monde dont seul un esclavage renforcé, si on les écoute, pourrait nous sauver.

 

Bronnie Ware, une infirmière australienne, a accompagné des centaines de mourants. Dans un livre intitulé «Les 5 plus grands regrets des personnes en fin de vie», elle évoque celui qu’elle les a entendu le plus souvent exprimer: avoir consacré trop de temps au travail. Alors, pensez-vous encore que cela vaut la peine d’accélérer la destruction de la planète pour produire des objets qui sont le vestige de notre dérive consumériste et pour créer des emplois, le plus souvent ailleurs que chez nous ? Continuer à chercher la solution dans le cadre de références qui a engendré le problème, c’est perpétuer le problème. Aurons-nous l’audace de tout remettre en question avant qu’il soit trop tard ?

30/01/2011

De Transitions en Commencements...

 

Un peu de publicité...

Comme nous ne disposons plus du moindre exemplaire papier du numéro 2 de Transitions, nous en avons mis en ligne une version numérique, en accès libre, à cette adresse:

http://co-evolutionproject.org/index.php/2011/01/le-numer...

Profitez-en! Ce numéro, qui a pour thème Economies et Proximités, est vraiment une des choses que je suis heureux d'avoir réalisées.
Si, maintenant, vous êtes curieux de connaître le contenu du numéro 1 de Commencements, qui sera incessamment sous presse, vous le trouverez ici:

Bonne lecture!

 

23/01/2011

Trahis et abandonnés: le salut ?

 

L’entreprise nous a trahis et l’Etat nous abandonne.

L’entreprise nous a trahis. J’ai eu le premier soupçon que la logique boursière dévoyait l’entreprise lorsque, dans les premiers jours de 1988, préparant une série de conférences sur le krach de 87, j’eus la confirmation que jamais les entreprises françaises ne s’étaient aussi bien portées qu’en cette année qui était pourtant à marquer d’une pierre noire. Puis, au début des années 90, il y eut la démonstration du génial Claude Riveline : il y avait une constante entre l’annonce par une entreprise de licenciements massifs et l’augmentation de sa valeur en bourse. A peu près au même moment, si ma mémoire est bonne, une thèse démontrait que les fusions, prônées au nom de la compétitivité, n’avaient en fait de bénéfices que pour l’égo et le portefeuille des dirigeants qui l’emportaient. Ensuite, nous avons eu les « années mondialisation » et le chant des sirènes néolibérales qui a endormi notre vigilance. On détruisait de l’emploi chez nous, mais en en créant ailleurs, on propageait à la Terre entière la version du progrès mise au point par l’Occident. Il suffirait que nous gardions un pas d’avance pour recréer de l’emploi tout en voyant s’accroître sans cesse notre « pouvoir d’achat ». Pour faciliter cette mécanique des fluides matériels, financiers et humains, il fallait déréguler, et on dérégula vaillamment. On délocalisa de plus en plus. On produisit où c’était le moins cher, multipliant les maquiladoras et les sweatshops pour alimenter nos marchés au moindre coût. On produisit où c’était le moins règlementé, de façon à économiser sur la sécurité des gens et de l’environnement. C’est ainsi qu’on a eu Bhopal - et bien d’autres sinistres dont on a moins parlé, voire pas du tout. Les plus-values boursières devinrent la préoccupation unique des dirigeants, qui d’ailleurs y abreuvaient une soif de richesse dont les limites reculaient sans cesse. La rémunération des CEO a crû ainsi sans commune mesure avec celle du salarié moyen. Plus grave, vendre n’importe quoi et s’enrichir de n’importe quoi a pris le dessus sur toute autre considération. Les scandales de ces derniers mois dans le secteur de la santé nous ont permis de voir enfin la pointe de l’iceberg et le cynisme qui guide le système.  Mais on aurait pu s’en rendre compte plus tôt. On pouvait déjà savoir - un exemple parmi d'autres - qu’en Afrique, la vente de lait maternisé à des mères à qui on expliquait que celui de leurs seins était moins bon, avait accru les maladies et la mortalité des nourrissons: dans les villages, il n'y avait tout simplement pas d'eau saine pour faire les biberons. Mais, me direz-vous, cela avait le mérite de générer une nouvelle demande : celle de médicaments dont l'achat serait soutenu par des subventions...

L’Etat nous a abandonnés. On a dérégulé vaillamment, disais-je. Dans certains pays d’Amérique latine les Chicago boys de Milton Friedman n’ont pas hésité à répandre le drame et la misère, véritables inquisiteurs modernes qui, au nom de Dieu, pourchassent l’hérésie par les emprisonnements, les tortures et les exécutions. Chez nous, cela s’est passé en douceur, car nous sommes des intellectuels et la conquête s’est faite par l’esprit. D’autant que le système, avant qu’il se dévoie, nous avait d’abord procuré les fruits des Trente glorieuses. Nous n’avons pas perçu le virage, car nous aimons la beauté des Idées. Aveuglés par leur pureté cristalline, nous n’avons pas vu – par exemple - que le développement du crédit à la consommation était une manière de masquer le retard que prenait les revenus du travail sur celui du capital, tout en permettant à la machine – qui a besoin de la consommation - de continuer à tourner, et aux banques de trouver une nouvelle source de revenus . Nous n’avons pas vu que l’extension à toute activité des principes de la privatisation et de la concurrence fragilisait notre société, à l’image de ce qu’elle avait fait pour les chemins de fer britanniques.  Nous n’avons pas vu que l’abandon par l’Etat de sa responsabilité fondamentale au profit du « tout se règle par le marché » était un déni de la communauté nationale et de la notion même d’Etat. Nous n’avons pas vu que cet abandon transformait le rôle de nos hommes politiques qui, de ce fait même, devenaient non plus les garants de l’intérêt général et les gestionnaires des ressources collectives, mais les vassaux et les courtisans de nouveaux maîtres.

Lorsque, aux Etats-Unis, l’abus du crédit à la consommation a engendré le tsunami des subprimes, les Etats, déjà endettés pour ne pas dire surendettés, ont mis la main au portefeuille pour secourir les banques. Avec les résultats que l’on voit aujourd’hui en Espagne, en Grèce, en Irlande, en Grande-Bretagne, etc. : le noyé est en train d’étrangler son sauveteur. Alors, pour desserrer l’étreinte, pour retrouver les faveurs de nos créanciers et éviter la discipline des agences de notation, on met les citoyens à la diète.

L’entreprise nous a trahis et l’Etat nous abandonne : il ne nous restera plus bientôt qu’à nous organiser pour nous passer d’eux. D’ailleurs, pourquoi ne pas commencer tout de suite ?