16/11/2011
L'insoutenable illusion de notre impuissance
On est responsable dès lors qu'on a le savoir et la capacité d'agir. Voilà un petit livre, au surplus joli et agréable, qui nous propose de sortir de notre impuissance et d'exercer notre responsabilité pour une cause qui est rien de moins que la vie des océans.
L'état des lieux est effrayant. Certaines simulations annoncent la disparition des espèces sauvages pour le milieu du siècle. Malgré les poissons issus des élevages, nous sommes donc en train de vider les mers, non à la petite cuillère mais avec notre fourchette. Pour ceux qui ont le scepticisme facile - surtout à l'égard des nouvelles qui les gênent - je rappellerai que, dans les années 70, la morue de Terre-Neuve nous a bel et bien quittés. Il ne s'agit donc pas de jouer à "Cassandre, je te crois, je te crois pas". Il ne s'agit pas non plus de se cacher derrière son impuissance - "Que voulez-vous que j'y fasse!" Il ne s'agit pas de s'en remettre aux seules institutions ou à nos politiques "dont c'est le boulot après tout". Et il s'agit encore moins de cultiver notre égoïsme générationnel - comme je l'ai entendu dire: "A chacun ses problèmes, nos enfants trouveront une solution!" A quoi j'ai répondu: "Il se trouve que le problème c'est nous!" Si, dans l'illusion d'une abondance infinie, nous nous sommes mis à manger de plus en plus de poisson et un peu n'importe comment, c'est que nous avons aussi le pouvoir inverse, celui d'en manger moins et avec plus de discernement. Qui peut le plus peut le moins!
Dominique Viel, par ailleurs chargée par les Ministères de l'Ecologie et de l'Agriculture d'une mission sur le gaspillage alimentaire, vient de publier ce petit guide qui sera fort utile à tous ceux qui pensent comme moi que les euros que nous dépensons chaque jour orientent l'économie plus puissamment que tout autre facteur, qu'il s'agisse du vote aux présidentielles ou des stratégies de marketing. Le principe du livre est simple, mais si vous le lisez, vous verrez que le propos ne manque pas de nuances. L'auteure n'a rien d'un ayatollah. Elle ne nous demande pas de renoncer à la consommation de poisson, mais de moduler celle-ci en fonction des espèces, des saisons et de notre santé. Oui, la responsabilité invoquée ici ne l'est pas qu'à l'égard de l'écosystème, elle l'est aussi pour notre bien-être: du fait de la pollution, la chair de poisson n'est plus toujours aussi saine que nous pourrions le penser, surtout pour nous qui sommes au bout de la chaîne alimentaire.
Ma conviction est que le soin de notre santé de même que le sauvetage de notre écosystème et le sort des générations futures font en quelque sorte cause commune: ils passent par une même évolution de nos habitudes alimentaires. Mais ceci est une autre histoire... En attendant, si vous voulez en savoir davantage avant d'acheter le livre, vous trouverez à cette adresse une recension plus détaillée que la mienne: http://www.madamenature.be/themes/eco-consommation/quels-...
Et j'en profite pour dire que, le 7 décembre prochain, en soirée, The Co-Evolution Project http://co-evolutionproject.org organise à Paris une réunion sur le thème du gaspillage alimentaire avec justement l'état des lieux et les analyses les plus récentes que nous présentera Dominique Viel. Si vous êtes intéressés parce que vous avez envie de comprendre et d'agir, mettez-moi un mot à thygr@wanadoo.fr je vous ferai suivre l'invitation.
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13/11/2011
De la désolance à l’espoir
Le mot « désolance » que je reprends dans mon titre a été forgé par un adolescent de Seine-Saint-Denis que vous considéreriez comme illettré, pour exprimer ce qu’est sa vie et celle de ses camarades de collège. « Désolance », parce que, du fait de leurs grandes difficultés scolaires, ces gamins se voient remisés dans des sections qui, aux yeux de l’extérieur, les étiquettent comme « nuls » ou « gogols » - et à la limite, tel qu’ils le ressentent, comme des rebuts et des déchets du système dominant. « Désolance », parce qu’ils n’ont pour perspectives que le chômage qui a rejeté leurs frères aînés dans des activités plus ou moins licites et qui, maintenant, atteint même les petits voisins des beaux quartiers, ceux qui font propre sur eux, qui causent bien, qui décrochent des diplômes et dont les parents sont respectés et ont des relations. « Désolance », surtout, parce que leur vie est une survie, une survie au jour le jour, entre pauvreté, violences familiales et, parfois, quasi abandon.
Des garçons et des filles que l’espoir d’accéder un jour à une vie qu’ils aimeraient vivre a désertés : voici ce que nous montre Dina Scherrer dans le livre qu’elle vient de publier chez L’Harmattan. Le titre en est trop modeste* pour rendre compte de la véritable aventure humaine que l’auteure a initiée le jour où elle a décidé d’expérimenter les méthodes de l’approche narrative de l'Australien Michael White auprès de ces sauvageons. Mais, bien plus que de méthodes, il s’agit selon moi d’une affaire de regard, un regard de Pygmalion qui fait la différence - le regard de Dina Scherrer sur les jeunes. J’ai eu le privilège d’échanger à plusieurs reprises avec Dina et, quoi qu’elle dise, je ne pense pas que ses méthodes expliquent à elles seules les résultats qu’elle obtient. Je ne vais pas y aller par quatre chemins : si je me retrouvais, un soir d’hiver, dans un train de banlieue avec pour voisins une poignée de ces gamins, je préfèrerais sans doute changer de voiture. Et vous, vraisemblablement, vous en feriez autant. Rappelez-vous le titre terrible du roman de Thierry Jonquet : « Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ». Alors, évidemment, quand la peur engendre la détestation, le regard que nous portons sur l’autre ne peut guère être fondateur d’espoir. Vous pourrez me dire que ces adolescents le cherchent bien. Discuter ce point ne m’intéresse pas. Ce qui est important, c’est que quelqu’un comme Dina Scherrer, qui est tout sauf une naïve évaporée, est capable de porter sur ces jeunes un regard qui brise l’enchaînement infernal des histoires que nous nous racontons à leur sujet et, par-dessus tout, qu’il s se racontent sur eux-mêmes.
« Ils sont magnifiques ! » arrive-t-il à Dina de déclarer, alors qu’elle sort d’une de ces classes épuisantes de bruit, d’indiscipline, de violence et d’absentéisme. Et cette affirmation n’est pas le produit de la méthode Coué ou le cinéma que se fait un bon petit soldat de l’Analyse Transactionnelle qui a appris qu’il fallait se mettre en posture « ++ » face à « l’autre » et qui le fait depuis son mental sans se rendre compte que son inconscient crie autre chose. Si c’était cela, le « truc » de Dina, cela ne marcherait pas. Le « truc » de Dina, en fait, c’est sa sincère foi dans l’autre, quel que soit ce qu’il lui donne à voir ou à entendre de lui-même. Et cela marche : les déserteurs reviennent, la violence diminue, le dialogue se développe et l’espoir vient : l’espoir d’être apprécié, de décrocher un stage, de ne pas vivre comme en chat de gouttière chapardeur que tout le monde regarde avec suspicion.
Les enfants des populations culturellement les plus avantagées ont aujourd’hui des difficultés à trouver un emploi. Cela ne pourra pas être plus facile pour ceux qui, de ce point de vue, ont des handicaps. Mais regardez quand même ce qu’un regard peut changer ! Alors, au lieu d’exploiter notre peur, au lieu de stigmatiser des populations pour détourner notre regard des fléaux dont on ne veut pas nous protéger – je pense à la rapacité des spéculateurs en train d’exploiter à loisir les dettes souveraines - on ferait mieux de remettre de la fraternité dans notre République. Tant qu’à voir monter la misère, au moins évitons de dresser des populations les unes contre les autres. Cela nous économisera des malheurs à l’avenir et, peut-être, face à l’appauvrissement général de notre société, nous réservera de possibles solidarités. Sinon, la désolance pourrait bien devenir notre lot, à nous aussi, et plus vite que nous ne l’imaginons.
Plus qu’un manuel d’intervention sur les échecs scolaires les plus lourds, ce que je vois dans ce livre c’est un message politique. Stéphane Hessel ne s’y est pas trompé qui a accepté de le préfacer. Lisez-le et changez de regard.
* Echec scolaire : une autre histoire, L’Harmattan, novembre 2011.
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06/11/2011
Libérer la vie
Dans le but de la faire connaître, j'offre un exemplaire du n° 2 de ma revue, Commencements, à ceux de mes lecteurs qui en feront la demande. Cette revue est l'autre jambe de ma démarche: ici, on déconstruit, dans la revue on construit.
En voici le sommaire:
Andreu Solé
La comédie du bonheur
René Duringer
« Free lifers »
Deborah Frieze
L’avenir sans attendre
Yeu
Grains de sel sur une île
Laure Waridel
L’insoutenable illusion de notre impuissance
Antonin Léonard
Les technologies et la société du partage
Caroline Gervais
Entreprises : The Natural Step, un accélérateur de durabilité
Marc Tirel
La puissance inquiétante de l’école mutuelle
Sylvie Pouilly
Ralentir, c’est résister
CL Claridge
Australie : http://www.slowmovement.com/
« Demain, la vie »
A la recherche de soi : expérience d’une mise en abyme
Dr Cyrille Cahen
Revenir au désir essentiel
La philosophie de Commencements:
"La seule chose qui puisse devenir fatale à l’homme, c’est de croire à la fatalité." (Martin Buber)
Commencements étant une revue imprimée, merci à ceux qui sont intéressés de m'adresser leur adresse par mail.
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