06/11/2011
Libérer la vie
Dans le but de la faire connaître, j'offre un exemplaire du n° 2 de ma revue, Commencements, à ceux de mes lecteurs qui en feront la demande. Cette revue est l'autre jambe de ma démarche: ici, on déconstruit, dans la revue on construit.
En voici le sommaire:
Andreu Solé
La comédie du bonheur
René Duringer
« Free lifers »
Deborah Frieze
L’avenir sans attendre
Yeu
Grains de sel sur une île
Laure Waridel
L’insoutenable illusion de notre impuissance
Antonin Léonard
Les technologies et la société du partage
Caroline Gervais
Entreprises : The Natural Step, un accélérateur de durabilité
Marc Tirel
La puissance inquiétante de l’école mutuelle
Sylvie Pouilly
Ralentir, c’est résister
CL Claridge
Australie : http://www.slowmovement.com/
« Demain, la vie »
A la recherche de soi : expérience d’une mise en abyme
Dr Cyrille Cahen
Revenir au désir essentiel
La philosophie de Commencements:
"La seule chose qui puisse devenir fatale à l’homme, c’est de croire à la fatalité." (Martin Buber)
Commencements étant une revue imprimée, merci à ceux qui sont intéressés de m'adresser leur adresse par mail.
10:14 | Lien permanent | Commentaires (4)
24/10/2011
Entropie de l’idéal
« Tout commence en mystique et finit en politique » écrivait Charles Péguy. On pourrait dire aussi que tout commence par des valeurs et finit par des intérêts. On a vu, par exemple, dénoncer récemment les dérives du WWF, accusé de couvrir le greenwashing de ses riches sponsors et le microcrédit accusé de contribuer au naufrage des pauvres. C’est comme si le potier finissait par se faire prendre dans la glaise qu’il voulait façonner.
Je ne sais plus si j’ai raconté ici mes mésaventures avec la fondation d’un personnage qui fut très médiatique, figure de globe-trotter au service de l’environnement qui, si l’on écarte toute autre considération, a certainement contribué à la prise de conscience du bon peuple dans ce domaine. Il y a quelques années, le boyscout en question avait produit un livre que j’avais lu avec exultation. Questionné au même moment par une entreprise toulousaine qui, dans le cadre d’une convention annuelle, voulait traiter un sujet d’actualité, j’avais sans hésiter préconisé d’inviter l’auteur : dans son livre, il se disait prêt à répondre à toute invitation pour apporter la bonne parole. Le conseil d’administration de l’entreprise, avec le même enthousiasme que le mien, avait validé ma proposition, alloué un budget de 50 000 F au profit du bonhomme (c’était juste avant que l’on passe à l’euro) et m’avait chargé de l’approcher. Tout heureux de pouvoir faire passer devant un auditoire de 2000 personnes un message qui me paraissait essentiel, je me mis en devoir de contacter l’intéressé. Au bout de deux mois, cependant, mes mails et mes appels téléphoniques étaient toujours sans réponse. Je résolus alors de me présenter sans prévenir au siège de sa fondation. L’ambiance était bon enfant et je fus très aimablement accueilli. On m’expliqua qu’étant en tournage par monts et par vaux, « il » n’avait pas eu le temps de me répondre mais qu’il avait pris connaissance de mon message. On m’assura que j’aurais des nouvelles. Pour autant, après cette visite, le temps continua à s’écouler et, comme rien ne venait, il fallait maintenant décider d’une éventuelle solution de rechange. Animé d’un résidu d’espoir, je rappelai la fondation et on me passa finalement une jeune femme dont le ton me donna très vite l’impression d’être un pèquenaud doublé d’un quémandeur. Du haut de la proximité qu’elle était censée avoir avec le grand prêtre de l’écologie, la péronnelle m’expliqua que les conférences étaient réservées aux adhérents de la fondation – ce qui n’était aucunement précisé dans le livre. Et, comme j’exprimais la possibilité que mes mandants pussent adhérer, elle m’annonça – ou plutôt m’asséna - un chiffre qui me donna le vertige. C’était plus d’un million de francs à verser chaque année et pendant trois ans au moins. Je me sentis soudain floué et je l’exprimai à mon interlocutrice, à qui cela ne fit ni chaud ni froid. Moi qui, naïvement, avais cru répondre à l’appel de ce héraut de l’environnement ! Moi qui, tout aussi naïvement, avait cru qu’il serait ravi de pouvoir faire partager ses convictions à un public de 2000 personnes – ce n’est pas rien tout de même - tout en recevant 50 000 F pour ses œuvres en contrepartie d’une conférence d’une heure et demie !
Je ne puis me résoudre à l’explication par l’imposture. Du moins, j’ai du mal à penser que l’imposture fasse partie d’un plan prémédité. Je préfère croire qu’on a fini par y tomber mais qu’il y eut un moment, au début, où l’on était de bonne foi. Le processus de cette chute me semble lié à l’entropie qui affecte, plus ou moins rapidement, toute chose en ce bas monde. Voici l’idée que je m’en fais - quand je suis d’humeur magnanime.
Première époque : les initiateurs, les « pères fondateurs » s’investissent sans chercher le moindre souci d’un retour pour eux-mêmes. Ils veulent mettre de la compassion et de l’espérance au cœur du drame existentiel de l’humain, comme Jésus et ses apôtres ; répandre le message des Lumières comme les mouvements maçonniques de l’Ancien régime ; expérimenter un remède à la misère matérielle des petits fermiers, comme Raiffeisen ; éradiquer des maladies comme Pasteur ou Flemming …
Deuxième époque : le mouvement prend de l’ampleur. L’élan, le bénévolat, l’improvisation suffisent de plus en plus difficilement à assurer l’exécution convenable de toutes les tâches qui en découlent. Là-dessus, des ambitions naissent et se développent, dont certaines peuvent ne pas être dépourvues de la noblesse des origines. Mais il ne s’agit plus d’apporter seulement une inspiration spirituelle, des principes de vie ou une philosophie : il s’agit d’organiser la société - pour ne pas dire, en cas de dérive plus forte, qu’il s’agit de se la soumettre. Il ne s’agit plus de traiter un problème local ou régional : il s’agit du pays, voire de la planète qu’il faut conquérir. Il ne s’agit plus de développer une solution, un traitement, il s’agit de devenir leader de son marché, ou à tout le moins d’entrer dans « la cour des grands ». Ces nouveaux objectifs nécessitent d’autres ressources et d’autres compétences que seulement bénévoles : on va les chercher à l’extérieur et, ce faisant, on importe des ambitions, des représentations de la réussite, des appétits et une vision du monde différents de ceux des origines. Ces nouveaux objectifs appellent aussi d’autres modes de prise de décision et de fonctionnement, d’autres formes d’organisation. Insensiblement, ils adultèrent les finalités fondatrices.
L’histoire continue. Troisième époque : l’organisation exige de mobiliser de plus en plus d’énergie et de ressources. Il faut plus d’argent, plus d’influence, et les tentations se multiplient de trouver des accommodements avec la pureté initiale. Qui veut la fin veut les moyens, n’est-ce pas ? Selon les histoires qui se construiront alors, en fonction des personnes et des circonstances, on aura au bout de quelques années ou de quelques décennies des apôtres qui trouvent leur récompense dans le trafic d’influence, des salariés et des dirigeants qui subvertissent le mouvement pour s’en faire un fromage ou un levier de pouvoir. L’organisation devient leur véhicule, un véhicule dont ils ont pris le volant et dont ils décident l’itinéraire.
Dernière époque. A l’abri des grandes devises issues de son passé, l’organisation se livre à l’obsession de la croissance et de la notoriété, de l’accumulation de richesse ou de pouvoir. Alors, un organisme de microcrédit, issu de la lutte contre l’usure, amène ses adhérents au surendettement ou taxe lourdement les plus impécunieux. Une industrie de la santé multiplie les médicaments hasardeux, les vaccins inutiles et dangereux. Pendant ce temps, à l’abri d’une mission fantaisiste, un réseau aux fondements humanistes suce ici et là les finances publiques. Et, protégée par le lien affectif qu’elle a su nouer avec le grand public, une ONG de taille planétaire fournit des alibis à ceux dont elle devrait dénoncer l’imposture.
Comme dirait Edgar Morin, le temps des recommencements est venu.
Références :
Concernant le WWF : http://actualutte.info/2011/07/05/le-wwf-mis-en-cause-par...
Concernant le microcrédit : http://www.jesuites.com/actu/2011/giraud.htm
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15/10/2011
La société comme création continue
Une société humaine se construit contre les pentes des passions, particulièrement la passion de l’argent et du pouvoir qui détourne les richesses et les libertés au profit du fort et au détriment du faible. De ce fait, une société n’est pas un état stable, c’est une création continue : on n’éradique pas les passions, elles renaissent avec chaque être humain et il s’agit de remailler en permanence ce qu’elles s’efforcent de défaire, de subvertir ou de récupérer. Il n’est que de parcourir l’histoire des lois pour voir à l’œuvre cet affrontement souvent caché et les victoires et les défaites de la démocratie. Je citais dans ma dernière chronique le petit bout de phrase glissé par la Miviludes pour protéger ses affidés de la Justice de notre pays, mais on pourrait aussi évoquer, dans tous les pays démocratiques ou non, les textes qui protègent ou favorisent les intérêts de tel ou tel acteur économique : les industries pharmaceutique ou semencière, par exemple, y révèlent l’efficacité discrète de leur lobbying, notamment par les interdictions qu’elles obtiennent des législateurs.
L’attaque contre le caractère démocratique d’une société n’est plus, depuis longtemps, un combat spectaculaire. C’est plutôt une multiplication de coups bas où le législateur peut voir sa bonne foi surprise, mais qui resserrent tout doucement le garrot autour des libertés citoyennes. Ici, on ne pourra plus ensemencer son jardin de graines qui ne soient point industrielles. Là, on devra renoncer à se procurer des suppléments alimentaires ou des huiles essentielles qui n’aient pas la bénédiction de Big Pharma. Demain, dès la maternelle, les gamins seront mis en catégories au mépris de tout ce que la pédagogie nous apprend de la plasticité humaine, de l’effet Pygmalion et des prophéties auto-réalisatrices. Alors que s’enflent les rumeurs autour des effets pernicieux et parfois mortels de certains vaccins au demeurant peu nécessaires, des mesures seront prises en catimini pour sanctionner ceux qui entendent résister. Afin de rendre impuissantes nos tentatives d’une consommation éthique, on découvrira un jour que, sur les produits, les étiquettes ont été substantiellement simplifiées... Stratégies lilliputiennes pour ligoter les peuples avant qu'ils se réveillent.
Le premier rôle du politique, dans une démocratie, est d’être vigilant à tout ce qui, au prix d’arguments spécieux, pourrait réduire notre liberté de vivre comme nous l’entendons. Malheureusement, quand les Rastignac contemporains se hissent aux plus hauts niveaux avec l’ambition de se la péter dans la cour des grands, l’éthique démocratique fait long feu. La cour des grands, c’est celle des banquiers, des C.E.O. et P.D.G des grandes entreprises et des présidents des Etats-unis. Or, la fascination qu’ils ont exercée sur nos prétendues élites a eu au cours de ces dernières décennies une première conséquence dont on commence à voir les effets : je veux parler de l’adoption par notre classe politique - de droite comme de gauche d'ailleurs - de la croyance que le marché libre, dans tous les domaines, résout les problèmes plus efficacement que l’Etat. On a ainsi allègrement dérégulé les flux de capitaux : l’argent ne se porterait-il pas ainsi plus facilement où des projets riches de potentialités l’appelleraient ? Davantage de création de richesse et d’emplois: l’Eldorado ! Vous avez vu ce que cela a donné ? Certes, on a aussi multiplié les législations dites « prudentielles » - Bâle 1, Bâle 2, Bâle 3 - et on continue sans aucun souci de leur inefficacité. Mais, comme le dit joliment Laure Waridel dans Commencements 2, c’est comme si on s’épuisait à vider la baignoire qui déborde avec une cuillère au lieu de fermer le robinet qui est grand ouvert !
L’Histoire montre que la plus féconde des solutions n’est pas de s’en remettre de tout à l’Etat ou au Marché, mais d’associer les ressorts des deux. De Gaulle n’a pas fait autre chose en 1958, lorsqu’il a hérité une France endettée, déconsidérée à l’étranger et en voie d’appauvrissement à l’intérieur – la France de l’abbé Pierre, qui est en train de se reconstituer sous nos yeux si vous regardez bien. Mais il faut dire que plaire aux puissances financières et économiques n’était pas le premier souci de celui pour qui « la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille ». Et, s’il ne cherchait pas à leur plaire en leur distribuant - comme c’est devenu la pratique - des avantages fiscaux, en revanche le redressement volontariste de la France, les grands projets, créaient pour eux aussi des opportunités. Quand on raisonne à partir de la force des choses, on en oublie le pouvoir créateur de la décision. Où l’un gère la débâcle, l’autre fonde un avenir. Fermer le robinet, pour reprendre l’expression de la fondatrice d’Equiterre, ce serait d’abord, pour notre classe politique, considérer que le service de la communauté nationale est au dessus des prétendues « lois économiques » qui invitent les agneaux à s’assoir dans l’assiette du loup. Jetons ce carcan, comme de petites communautés locales le font déjà un peu partout sur la planète, et l’imagination reviendra et avec elle le salut. La société est une création continue. Ressaisissons-nous et ressaisissons-la.
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