14/10/2011
Le lien et la loi
Je me souviens des séminaires où Meyer Ifrah nous présentait sa théorie des 2L : le lien et la loi, les deux ressources fondamentales des sociétés et des personnes. Cela fut pour moi une illumination. Pour nous construire mais aussi pour vivre en société, nous avons besoin à la fois d’amour et de discipline, d’affectio societatis et de règles. Traditionnellement, dans notre civilisation, ces deux ressources s’exprimaient dans les rôles spécifiques attribués aux figures parentales, la mère et le père. On en trouve un reflet dans la psychologie freudienne où la « loi du père » est ce qui permet la différenciation.
La chose dont j’ai ensuite pris conscience, c’est que nous avons souvent du mal à penser le lien et la loi en même temps. Il y a en nous une tendance à se polariser sur un seul des deux principes et, d’une certaine manière, à se faire le héraut de l’un ou de l’autre. Partant de cette polarisation, nous avons la fâcheuse tentation de tout ramener à des antagonismes. Ainsi, le lien et la loi, généralement, se regardent en chiens de faïence, se brocardant et se rejetant mutuellement. « Le lien » est trop mou, dit « la loi ». « La loi » n’a pas de cœur, dit « le lien ». Il suffit de suivre une campagne électorale pour les voir à l’œuvre : vous aurez ceux qui mettent l’accent sur la solidarité (le lien) et ceux qui voient le salut dans davantage d’ordre (la loi). Personnellement, j’ai une propension à penser que les partisans de l’ordre sont les plus dangereux : poussé à l’extrême, ce tropisme a fait ses tristes preuves dans l’Histoire. On lui doit les totalitarismes, les dragonnades, les pogroms et toutes les formes d’oppression, de persécution et d’extermination qui seraient inenvisageables sans la fascination que l’ordre et l’autorité qui l’incarne exercent sur les esprits. Une fois encore, je me permettrai de vous renvoyer – entre autres - aux expériences de Milgram ou de Zimbardo.
Un fait divers dont j’ai pris connaissance hier matin exprime particulièrement cette dualité. A la demande des habitants d’un quartier de la banlieue parisienne, la police a verbalisé et taxé d’une amende de 38 € une pauvresse qui se nourrissait en cherchant dans les poubelles les restes de ceux qui ont les moyens de jeter de la nourriture. Dans les sociétés de nantis, il est courant de considérer les pauvres comme une souillure de l’environnement. Il est possible – je ne connais pas les détails de l’histoire – que la glaneuse en question fouillait sans trop de précaution, répandant le contenu des poubelles sur le trottoir et ce comportement est évidemment aussi détestable que répréhensible. Je me dis cependant qu’il y a une sorte de dérision cruelle à accabler d’une dépense de 38 € une personne que nos fonctionnements économiques et sociaux ont marginalisée et qui ne peut se nourrir que de nos déchets. Ecraser ceux qu’écrase déjà la misère fait penser à des sociétés qu’on croyait révolues. C'est le triste principe du "vae victis". Mais, ce qui est inquiétant, c’est que, dans la chaîne nécessaire des acteurs pour parvenir de la plainte au procès-verbal, il ne se soit pas trouvé un homme ou une femme pour proposer une autre solution. Celui qui a appuyé sur le bouton vous répondrait sans doute que ce n’est pas à lui mais à l’Etat ou à la collectivité locale de s’occuper de la misère. A l’autre bout, j’entends la réflexion de l’exécuteur final : « Si vous croyez que cela m’amuse ! Je fais mon boulot, c’est tout ! » Je vous invite à revoir le film de John Ford, « Les raisins de la colère ». Vous y trouverez une scène du même tabac.
Ce dont il faut se méfier en toute chose, c’est de la pente. Lorsqu’on s’y laisse aller, on prend inéluctablement de la vitesse. Du souci légitime de propreté, on peut glisser à une sorte d’obsession de la pureté. De citoyen respectueux des lois qui régissent la société, on peut devenir un persécuteur par la loi. Dans la série X Files, l’épisode « Bienvenue en Arcadie » pousse à l’extrême cette logique puisqu’on va jusqu’à éliminer celui qui enfreint un règlement de copropriété obsessionnellement pointilleux. On peut se gausser de cette fiction, mais le monstre surgi du sol qui exécute les habitants indisciplinés est une juste allégorie selon moi de l’inconscient extrêmement trouble des obsédés de l’ordre, de la pureté et de la perfection.
J’amène, dans ce sens, un autre fait quelque peu troublant. Dans une proposition de loi dite « de simplification du droit des entreprises », la mission MIVILUDES – vous savez : ceux que l’on paye pour protéger nos pauvres petites âmes naïves des cathares et autres traîtres à la pensée dominante – a réussi à introduire un amendement stipulant que « les membres de la Mission interministérielle de lutte et de vigilance contre les dérives sectaires ne peuvent être recherchés, poursuivis, arrêtés, détenus ou jugés en raison des opinions qu’ils émettent dans le rapport annuel ». Profiter d’une règlementation destinée aux entreprises pour légiférer sur une mission interministérielle, c’est déjà fort de café. Mais utiliser la loi pour se soustraire à la loi, là, c’est du grand art… Qui sont ces gens pour, s'ils étaient attaqués devant les tribunaux, ne pas faire confiance à la Justice de leur pays ?
« Etonnant, n’est-ce pas ? » comme aurait dit le regretté Pierre Desproges.
11:23 | Lien permanent | Commentaires (5)
01/10/2011
Un survol de Commencements 2
Pourquoi le mode de vie de l’Occident ne convient-il plus à certains d’entre nous, de plus en plus nombreux ? Parce qu’il ne nous vante que la consommation ? Parce qu’il nous force à un rôle de composition, celui de la compétition permanente de chacun contre tous ? Parce que nous ne pouvons plus ignorer les dégâts profonds, écologiques, sociaux et humains qui en résultent ? Parce que, derrière les apparences de la facilité et de la richesse, nous sentons notre liberté menacée et, avec elle, la possibilité de notre véritable réalisation ?
Martin Paradis, le héros du dernier roman de notre ami Steve Moreau, se réveille d’un sommeil qui a duré trois jours - allusion à la Résurrection ? Dès lors, il ira de prises de conscience en désillusions. Ce qui l’amènera à devenir un homme lucide*. Lucide, mais non pas désespéré. Tout au contraire : « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil»**. Martin, c’est chacun d’entre nous. Les constats qu’il fait, nous les avons faits ou nous les ferons. Un jour, ils deviennent insupportables et il est impossible de continuer à vivre comme si de rien n’était. Alors, on rejette la « comédie du bonheur » qu’évoque Andreu Solé. On décide de résister et, par exemple, de remettre de la lenteur dans sa vie, comme nous y invitent Sylvie Pouilly et CL Claridge. Voire, on devient un de ces free lifers qu’inventorie pour nous René Duringer.
En 2004, Deborah Frieze conduit sa première « expédition apprenante ». Entendez par là qu’elle emmène un groupe découvrir, au Zimbabwe et en Afrique du Sud, des communautés « qui osent vivre le futur dès maintenant ». Dans les six mois qui suivent le retour, sans faire de tapage, quatre des participants quitteront leur emploi. Ils ont décidé d’oser une réussite différente et de faire société autrement. Notre impuissance ne serait-elle qu’une illusion ? Pour Laure Waridel, fondatrice d’Equiterre au Canada, le simple choix de ce que nous mettons dans notre assiette révèle notre pouvoir. En écho, Antonin Léonard nous montre qu’avec la « consommation collaborative » nous pouvons tirer un meilleur parti des richesses déjà créées, préserver l’écosystème et remettre du lien dans nos vies. Marc Tirel, de son côté, redécouvre pour nous « l’école mutuelle », une très ancienne pédagogie indienne qui effraya notre XIXème siècle et qui nous parle finalement d’un avenir encore à oser. Et pour les entreprises ? Alors que la concurrence fait rage, est-ce une lubie dangereuse de s’engager dans la voie d’une économie soutenable ? Bien au contraire, nous dit Caroline Gervais, la représentante en France de l’ONG suédoise The Natural Step.
Qu’on vive sur une île et qu’on ait juré d’y être heureux - comme Jef, Rémi, Raymond, Mireille, Georges ou Gérard - ou qu’on ait fait l’expérience d’une « mise en abyme » à la recherche de soi - comme Isabelle, Jérôme, Marie-Josée, Cécile, Christine ou Armelle - reste finalement décisif ce qui se passe dans le creuset de notre âme. Disciple du psychologue et philosophe Paul Diel, le docteur Cyrille Cahen nous parle de ce qui constitue le désir essentiel de l’être humain. Le message de ce numéro 2 ? Cessons de forger nos propres fers. Comme l’écrivait François Mauriac : « Nous tissons notre destin, nous le tirons de nous comme l'araignée tisse sa toile".
http://co-evolutionproject.org/index.php/boutique/adhesion/
* Un homme lucide, Steve Moreau, L’Harmattan, 2011.
** René Char.
19:07 | Lien permanent | Commentaires (1)
30/09/2011
Commencements 2: "Libérer la vie"
Sommaire
La seule chose qui puisse devenir fatale à l’homme, c’est de croire à la fatalité. Martin Buber.
Andreu Solé
La comédie du bonheur
René Duringer
« Free lifers »
Deborah Frieze
L’avenir sans attendre
Yeu
Grains de sel sur une île
Laure Waridel
L’insoutenable illusion de notre impuissance
Antonin Léonard
Les technologies et la société du partage
Caroline Gervais
Entreprises : The Natural Step, un accélérateur de durabilité
Marc Tirel
La puissance inquiétante de l’école mutuelle
Sylvie Pouilly
Ralentir, c’est résister
CL Claridge
Australie : http://www.slowmovement.com/
« Demain, la vie »
A la recherche de soi : expérience d’une mise en abyme
Dr Cyrille Cahen
Revenir au désir essentiel
07:47 | Lien permanent | Commentaires (0)