UA-110886234-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/06/2011

Le retour du territoire (2)

Dina Scherrer, ayant lu ma dernière chronique, m'a suggéré de revisiter l'histoire que j'évoquais à la lumière des concepts développés par Michael White, que je connais un peu. Pour les non avertis, je vous résumerai le propos avec cette phrase de Boris Cyrulnik: "Plus que ce qui nous arrive, ce qui compte c'est ce que nous nous racontons au sujet de ce qui nous arrive".

L'application au développement territorial des "pratiques narratives" me paraît une expérience à faire. L'histoire est pleine de territoires privés de ressources faciles et qui trouvent cependant le moyen de prospérer. C'est bien que, au delà des ressources matérielles, il y a la manière dont une communauté se raconte son destin. C'est non seulement au delà des ressources matérielles, c'est même au delà de l'intelligence locale. Il y a des gens intelligents partout, dans les territoires frappés de déclin comme dans les entreprises qui ont commis les plus absurdes erreurs stratégiques. Le problème est ailleurs.

 A titre d'illustration, vous pouvez lire sur le site de Dina Scherrer le rewriting que j'ai fait de ma chronique:

http://www.dinascherrer.com/index.php/non-classe/histoire...

Si vous avez envie d'en savoir plus sur la "narrative", sachez que mon ami Pierre Blanc-Sahnoun fera une présentation à Paris, dans le cadre de The Co-Evolution Project, le 29 juin au soir:

http://co-evolutionproject.org/index.php/2011/05/quelles-...

 

31/05/2011

Le retour du territoire (1)

 

 

Au début des années 80, j’ai été quelque peu pionnier en œuvrant à titre professionnel dans le domaine du développement local. Nous inventions le métier en marchant, un métier qui ne se réduisait pas, pour la bande d’originaux dont je faisais partie et malgré les représentations du moment, à transformer des terrains en zones industrielles ou artisanales et à verser des primes aux entreprises extérieures pour qu’elles viennent s’y installer. Cela, c’est une caricature du développement local, même si souvent les actions des collectivités et des grandes entreprises en « redéploiement » - comme on disait joliment à l’époque - se limitaient à cela. Presque tout le monde misait en effet sur le développement exogène. Sans le mépriser, nous pensions qu’il fallait stimuler aussi un développement d’origine endogène, c’est-à-dire nourri de l’énergie, de l’âme et de l’investissement des habitants du territoire concerné. Le rêve d’une grande usine qui viendrait s’implanter – le Père Noël autrement dit - a quelque peu éclipsé la vision que nous proposions. Maintes fois promise, surtout aux élections, la grande usine n’est jamais venue et le territoire s’est endormi.  

 

Dans les années qui ont suivi, le concept de développement local est quelque peu tombé en disgrâce. Il y avait quelque chose de ridicule à vouloir sauver des cantons paumés, trahis par une industrie désuète héritée des siècles passés. On n’allait pas faire de l’acharnement thérapeutique sur ces bourgades cachectiques alors que le monde entier nous tendait les bras! C’était l’époque où pas un étudiant d’école de commerce n’aurait osé remettre en question les théories des économies d’échelle, de la saine concurrence, de la maximisation du profit, etc. Le mot d'ordre était: « Vae victis ! » Malheur aux vaincus ! Malheur à vous si votre territoire n’avait pas de quoi engraisser suffisamment des actionnaires dont le pouvoir commençait à s’affirmer en même temps que l’appétit s’aiguisait pour devenir, comme on le voit aujourd'hui, insatiable. « Votre pays, Messieurs Dames, vous l’aimez peut-être, mais l’amour n’est pas une donnée économique, il peut crever et vous avec ! »

 

Je perçois aujourd'hui, avec beaucoup de satisfaction et surtout de soulagement, ce que j’appelle « le retour du territoire". Par exemple, un think tank comme Sol et Civilisation, avec des chercheurs tels que Bernard Pecqueur ou Didier Christin que j’ai eu le privilège de faire intervenir récemment, produit des analyses profondes et inspirantes. Des actions comme celles développées par Innobasque, au Pays basque espagnol, nous disent à quel point les richesses d’un lieu ne disparaissent pas avec une forme d’activité pour peu que l’on s’intéresse davantage aux hommes, aux histoires qu’ils se racontent, qu’aux idéologies économiques.

 

Si le territoire renaît, c’est que les effets de l'hallucination collective et anesthésiante qu'on appelle « la mondialisation » commencent à refluer. Nous avons découvert que l’ail importé d’Argentine ne nourrit pas la même histoire, pour nous, que celui de l’AMAP voisine. Nous avons constaté que le chômage et la misère ne sont pas qu’une donnée économique, un problème de marché: ils ouvrent une fracture dans la communauté. Nous savons, maintenant, que notre façon de vivre, notre consommation, ont un effet sur le monde. Au final, nous sommes en train de nous rendre compte que ce n’est pas si mal que cela lorsque, comme je l’ai écrit dans Transitions, « il y a de la vie là où l’on vit »*. De la vie, c’est-à-dire la possibilité de travailler et de produire où on habite, un attachement sensible à la réalité charnelle d’un territoire, un lieu qui devient la matière d'un lien social, le foyer d’une communauté de destin. Et tant pis pour les idéologies ! On disait jadis que la beauté ne se mange pas en salade : les idéologies encore moins.

 

Mais nous avons beaucoup de choses à réapprendre, me semble-t-il, notamment à faire société sur un territoire fait de terres, de climat et d’histoires. J’ai bien envie de me retrousser les manches et de m’y remettre !

* Cf. http://co-evolutionproject.org/wp-content/uploads/2011/01...

26/05/2011

Jurassic Park

 

 

Adolescent, j’ai beaucoup pratiqué Arthur Conan Doyle et, en dehors des trois tomes de Sherlock Holmes que j’ai lus jusqu’à ce qu’ils tombent en ruines, un de ses romans que j’ai préféré est Le Monde Perdu, où le professeur Challenger découvre, isolée du reste du monde, une région d’Amazonie qui a conservé la flore et la faune de l’ère secondaire. Cette histoire en a inspiré par la suite beaucoup d’autres et, très probablement, le ptérodactyle qui hante une des aventures d’Adèle Blanc-Sec est un lointain descendant de celui qui terrorise les héros du Monde Perdu. Jurassik Park est la version moderne du Monde perdu. A ceci près – et je vous propose de considérer que la différence ne manque pas de sens – que le monde imaginé par Michael Crichton et mis en scène par Steven Spielberg n’est plus une anomalie géographique mais une production humaine. Nos oeuvres, nous avertit ce récit, deviennent plus redoutables que les phénomènes naturels.

Vous vous souvenez, j’imagine, du personnage vêtu de blanc, à mi-chemin entre le démiurge de Matrix Revolutions et l’emblème de KFC, qui a dépensé sans compter pour créer ce parc d’attraction où l’on peut observer, aussi vivants que vous et moi, des dinosaures de toute sorte. Ceci a été rendu possible grâce à une ingénierie de clonage juste un peu plus avancée que la nôtre. J’avoue que ressusciter des espèces disparues, qu’aucun homme n’avait encore jamais vues autrement que sous forme de fossiles, est un projet fascinant. Quant à moi, s’il existait un lieu tel que Jurassik Park, j’y courrais ! De fait, ce monsieur en blanc est un malin génie qui capte nos rêves pour les réaliser.  Mais ce qui commence comme un rêve peut tourner au cauchemar.

Jurassic Park est une modélisation excellente des catastrophes dont la cause est humaine. A la source de l’histoire, un rêve, donc, que de nombreux êtres humains sont susceptibles de partager. Puis, des acteurs avec leurs névroses, leurs motivations, leurs représentations diverses de la réussite et du bonheur. D’abord,  Alan Grant et Ellie Sattler, deux paléontologues aussi innocents et passionnés qu’impécunieux, qui, pour financer leurs recherches, puisent l’argent où ils le peuvent: lorsqu’ils trouvent John Hammond dans leur caravane, ils ne reconnaissent même pas leur sponsor. Celui-ci, l’homme vêtu de blanc, personnage central  du drame, est richissime. Cependant, son moteur n’est pas l’argent. Hammond est une sorte de démiurge mu par le désir de créer quelque chose d’unique. Tout dangereux qu’il soit, je ne le trouve pas antipathique. Hammond s’est entouré de gens honnêtes, au sens où ils ont de vraies compétences et respectent les règles. Certains feront même le sacrifice de leur vie: nous ne sommes pas en présence d’une bande de malfaiteurs mal léchés. Parmi les gens qui entourent le démiurge, cependant, il y a une population singulière : des scientifiques qui ont franchi un pas décisif : ils ont expérimenté avec émerveillement le pouvoir faustien que leur a donné la science. Puis, il y a le maillon faible, le grain de sable, l’homme dont l’avidité va tout faire basculer - et, à cause de lui, la création va échapper à ses créateurs. Il est facile de faire porter à un personnage, à un méchant, la responsabilité du sinistre. Je serais tenté de dire que les systèmes comme celui de Jurassic Park ne  peuvent pas être sans faille. Malgré la rationalité mise en œuvre pour les construire, leur ADN est fait de passions humaines pour qui le monde et les autres ne sont qu’un moyen de s’assouvir. D’ailleurs, une fois la catastrophe survenue et à peine en a-t-on fait le bilan que surgit la conviction que, « maintenant, on sait comment il faut faire pour que ce soit parfait ». Et on est prêt à recommencer. L’illusion fondamentale, celle d'une rationalité maîtrisée et totale, reste à l’œuvre.

Un rêve collectif, archétypal, différents acteurs dont les aspirations et les actes se combinent pour aboutir au drame : voilà les ingrédients des catastrophes d’origine humaine. Jurassic Park est une fiction, je vous l’accorde. Alors, reprenez par exemple l'histoire de Fukushima : vous verrez que, si loin d’un parc à dinosaures que soit une centrale nucléaire, le modèle de Michael Crichton ne fonctionne pas mal. Si vous cherchez, vous pourrez faire d'autres parallèles.