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09/12/2012

La fascination de l’obstacle

 

 

Dans sa chronique hebdomadaire, mon ami Jean-Marc Sauret* évoque un piège aussi connu qu'en permanence oublié: la fascination de l'obstacle. Sur une longue ligne droite, l'unique platane semble attirer les voitures. C'est que les conducteurs l'ont trop regardé: le regard entraîne l’action. Ce phénomène, que l'on pourrait dire physiologique, a des répercussions dans de nombreux domaines, pour ne pas dire dans tous: scientifiques, politiques, stratégiques, pédagogiques... L'obstacle fascine et cette fascination, plus que toute autre chose, explique les échecs de ceux qui s'y laissent enfermer. La débâcle de 1940 et l’avancée allemande que, dans le moment, plus rien ne peut contrer, empêchent la plupart des responsables français de voir ce que de Gaulle martèlera dans son Appel du 18 juin. Mais il en est de même si vous voulez arrêter de fumer: vous ne cesserez de penser au tabac, vous en vivrez le manque par avance, ce qui ne fera qu’accroître votre besoin de pétuner. Et de même encore si l’un de vos enfants est faible dans une matière scolaire: à vous focaliser sur cette insuffisance, vous oublierez de reconnaître suffisamment ce qu’il réussit et fragiliserez l’édifice de son identité. 

 

Cela me fait penser à une histoire que j’ai déjà dû conter ici. Celle d’un jeune homme, intéressé par le karaté, qui assiste du dernier rang de la salle à l’enseignement que donne un maître japonais de passage dans sa ville. Celui-ci tend une planche et demande aux élèves de la briser du poing. L’exercice est connu. Aucun n’y arrive, malgré la force déployée et les phalanges que certains s’y abiment. Lorsque tous sont passés, le maître leur demande: «Savez-vous pourquoi vous n’avez pas réussi à briser la planche ?» L’un dit: «Je n’y ai pas mis assez de force», l’autre: «Je n’étais pas assez concentré». Le maître secoue la tête: «Vous n’avez pas traversé la planche, parce que vous avez visé la planche!» Etonnement, désarroi, incrédulité... S’il ne faut pas viser la cible, alors, que faut-il viser ? «Si vous voulez traverser la planche, il faut viser au delà de la planche!» Le jeune homme, devenu l’homme mûr qui me faisait ce petit récit, sortit alors du fond de la salle et demanda à faire l’expérience. Du premier coup, sans se faire mal, il la réussit. 

 

 La fascination pour l’obstacle est sans doute la raison pour laquelle le court-terme accapare notre attention. Le court-terme regorge de problèmes d’autant plus envoutants qu’on n’a plus en réalité le temps nécessaire pour les dénouer et qu’ils se présentent comme des urgences. Tout est déjà joué. Pour autant, on court d’incendie en incendie, c’est-à-dire de maisons réduites en cendres à d’autres qui le seront bientôt. C’est regarder la débâcle et c’est là le tombeau des hommes politiques ordinaires. Ils mettent toute leur attention et toute leur énergie à s’engager dans des batailles qu’il est trop tard pour gagner et en oublient ce territoire des vrais possibles qu’est l’avenir. De la bravoure, parfois, mais stérile. Ce qui nous arrive aujourd’hui, qu’il est trop tard pour conjurer, vient du passé. Mais tout passé fut d’abord un avenir qui eût été façonnable si les hommes et les femmes d’alors n’avaient été tant préoccupés des obstacles de leur présent.

 

La situation actuelle du monde est analogue à la débâcle de 1940. Le sol se dérobe sous nos pieds tandis que des pouvoirs redoutables affirment leur emprise sur la Terre et sur nos sociétés. Elle est analogue aussi à celle de l’homme qui envisage d’arrêter sa tabagie et que poigne par avance le manque: nous évaluons les renoncements que nous devrions décider pour que notre planète reste un lieu de vie pour tous. Et, finalement, nous sommes à notre propre égard comme ces parents qui ne voient de leurs enfants que les lacunes. «Que pouvons-nous y faire ?» est la phrase que j’ai le plus souvent entendue et, malgré le point d’interrogation, ce n’est pas une question. Il faut apprendre et éventuellement nous forcer à voir au delà. Au delà du champ des batailles perdues, afin de discerner les voies de la reconquête. Au delà des austérités nécessaires en anticipant de nouvelles manières d’être heureux. Au delà de nos faiblesses pour libérer notre capacité créatrice. Nombreux sont déjà ceux qui s’y risquent. Il n’est que de lire Un million de révolutions tranquilles**, de la baroudeuse Bénédicte Manier. Alors, haut les coeurs et retroussons nos manches!

 

http://jmsauret-managerconseil.blogspot.fr

** Editions Les liens qui libèrent, novembre 2012.

01/12/2012

Complot ou aubaine ?

 

 

Je ne suis pas un adepte de la théorie du complot. J’ai du mal à croire à la conspiration séculaire d’une poignée d’hommes désireux de tenir le monde entre leurs mains et de transmettre ce pouvoir secret de génération en génération. En revanche, je crois qu’en fonction des situations, des intérêts, des menaces et des opportunités, se créent des alliances plus ou moins durables qui, effectivement, parviennent à peser sur nos destinées. Les plus visibles de ces manoeuvres sont celles qui ont abouti au cours de l’Histoire à la constitution de divers cartels, par exemple autour des matières premières, de l’énergie, des produits chimiques. Jusqu’à récemment, me semble-t-il, ces alliances étaient plutôt sectorielles. Avec la financiarisation de l’économie, la mondialisation et la dérégulation qui en a été l’accélérateur, ces amalgames d’intérêts ont pu sortir de leurs biotopes, accéder à une dimension planétaire où ils ont trouvé d’autres leviers de pouvoir. 

 

Aujourd’hui, tout se passe comme si une toute petite catégorie d’êtres humains, ceux qui ont pour influence celle des immenses flux financiers qu’ils dirigent, avait décidé de prendre en mains la planète. Cette interprétation, je le reconnais, gagne en vraisemblance quand on passe en revue l’histoire qui s’est faite sous nos yeux depuis l’explosion des subprimes. Souvenez-vous. Dans un premier temps, nos économistes bien-pensants - ceux qui peuvent se tromper et continuer de vaticiner au 20 heures - nous ont rassurés: dans deux ou trois mois, on n’y penserait plus. Au même moment, j’avais pris le risque de faire intervenir dans un de mes séminaires Bernard Lietaer qui, lui, nous avait affirmé: «Cette crise-là sera longue et profonde». Il a bien fallu se rendre à l’évidence, les trois mois ayant passé, qu’on n’en voyait pas encore le bout. Et, en cette fin 2012, on le voit encore moins. Ce que l’on voit, c’est une pente de plus en plus raide qui nous entraîne au sein d’une obscurité de plus en plus épaisse. 

 

Revenons à notre histoire. Les Etats ont donc commencé à mettre la main au portefeuille pour sauver le système bancaire mondial. Selon moi, loin d’exécuter un projet de longue main, c’est alors que certains joueurs ont pris conscience d’une opportunité historique: ils pouvaient profiter de la situation pour asservir ces Etats qui s’entêtaient à mettre des barrières aussi indécentes que le droit du travail ou la souveraineté territoriale. Et voilà l’histoire du noyé qui noie son sauveteur, rejoint la berge et s’empare de ses vêtements, pour ne pas parler de son royaume. La suite, vous la connaissez: les agences de notation commencent à titiller les dettes souveraines. Elles mitraillent l’animal le plus malade du troupeau: la Grèce. Celle-ci jette son peuple dans les tourments et privatise ses richesses - c’est-à-dire qu’elle s’en dépossède pour les mettre à la disposition du mercantilisme mondial. Mais, comme l’appauvrissement n’est pas un moteur de croissance, les pronostics économiques successifs seront de plus en plus sombres. Nous pouvons regarder le sort des Grecs avec commisération: ils ne sont qu’en avance sur nous. Un jour, je vous le dis, nous serons tous Grecs. C’est la logique des jeux de cirque auxquels nous avons le tort de participer et, tort plus grand encore, dont nous n’avons pas l’audace de sortir.

 

Or, vous vous êtes fait vous-mêmes cette réflexion: comment attendre d’un appauvrissement général de l’Occident une relance de cette croissance, censée être la condition de la santé économique et de la confiance des marchés financiers ? On peut dire ce qu’on veut: je ne pense pas qu’on avance en compréhension en taxant l’autre de stupidité. C’est en essayant de comprendre cette apparente absurdité que je me suis souvenu d’une parole de Gandhi à laquelle vous souscrivez sûrement: « La Terre peut répondre aux besoins de chacun mais pas à l'avidité de tous. ». Et si cette parole qui, dans l’esprit du Mahatma, invite chacun à réfréner ses désirs pour en laisser un peu à tout le monde, était interprétée différemment par la ploutocratie mondiale ? Encore une fois, ne la supposons pas stupide - ou mal informée. Elle ne peut ignorer en effet tout ce qui se dit de l’empreinte écologique et de la dérive climatique. Que lui vaudrait de gagner plus d’argent encore si c’est pour vivre en vase clos dans une planète devenue à la lettre invivable ? Que vaudrait un surplus d’enrichissement qui se paierait d’air irrespirable, de paysages détruits, d’eau polluée et raréfiée et, au final, d’une assignation à résidence des plus riches dans quelques oasis artificiellement protégées ? Ne vaudrait-il pas mieux, en laissant retomber progressivement l’essentiel de l’humanité dans la misère, diviser par cent mille tous les inconvénients écologiques qui résultent d’une généralisation de niveaux de vie toujours croissant ? Quelques riches, même menant grand train, ne seront pas d’un grand danger en comparaison de celui-là. Or, voilà justement que les dettes souveraines n’apportent pas seulement un enrichissement matériel aux créanciers, elles leur confèrent aussi le pouvoir dont ils ont besoin pour mener à bien ce projet.  

 

C’est une interprétation. Comme le dit Clément Rosset, toute interprétation est un délire. Cependant, il faut bien essayer de comprendre. Celle-ci éclaire une déclaration de Warren Buffet: «Bien sûr, il y a une lutte des classes, et c’est la mienne qui est en train de la gagner.» Vous avez lu Globalia ? C’est une suite éventuelle à ce propos.

19/11/2012

Le syndrome du larbin

Je vous invite à lire l'intervention de l'impavide Flore Brasseur au colloque "Pour une éthique de la performance", en ligne sur son blog:

http://blog.florevasseur.com