03/11/2012
De la confusion des genres
Il fut un temps où l’Eglise avait la prétention de détenir la vérité sur l’univers physique. Cela nous semble aujourd’hui grotesque, d’autant que nous ne voyons pas le lien qu’il peut y avoir entre le salut des âmes et le fait que la Terre soit ronde ou plate et qu’elle tourne ou non autour du soleil. Alors, nous nous en gaussons et ne cherchons pas à comprendre les ressorts de l’histoire. Je soutiens l’hypothèse que de tels errements, pour caricaturaux qu’ils nous paraissent, relèvent des dérives banales de l’esprit humain, qu’ils se produisent encore sous nos yeux à notre insu, sans que la religion y ait forcément à voir quoi que ce soit, et que notre époque a sûrement ses Galilée et ses Giordano Bruno. Au surplus, je ne crois pas que l’on puisse faire l’économie de la réflexion en concluant simplement à la stupidité ou à la malhonnêteté des hommes. J’ai tendance à penser qu’à l’origine de la plupart des phénomènes priment la sincérité et la bonne foi. C’est la manifestation de ma propre foi en l’homme. Pour certains, c’est peut-être de la naïveté. Je n’en ai cure.
Le mot-clé de l’histoire que j’évoquais, selon moi, est «amalgame». S’agissant des croyances de l’Eglise sur l’univers physique, il y eut un premier amalgame spontané entre la vérité dont elle est le canal, vérité qui est d’ordre purement spirituel, et la représentation du monde physique dans lequel cette vérité a été révélée. Une des premières conséquences de cet amalgame a été de conduire à croire que la vérité spirituelle était menacée par un changement dans cette représentation. Or, quelle relation peut-il y avoir entre le «Aime ton prochain comme toi-même» et la rotondité ou la platitude de la planète ? Jésus, d’ailleurs, a-t-il jamais évoqué l’astronomie ou la physique ? «Le Royaume de Dieu est au dedans de vous» ne nous parle que du monde intérieur.
Mais ce n’est pas tout. La loi qui régit les amalgames est la croissance. Cette croissance se fait par phagocytose: l’amalgame s’accroît par absorptions successives. C’est ainsi que l’Eglise, gardienne à l’origine des seules vérités de la foi, s’institue garante d’une représentation du monde physique tirée de l’Ancien Testament, puis, par voie de conséquence, se retrouve évidemment menacée par le progrès de la science qui remet en question cette représentation. Ce qui va la conduire aux prises de position délirantes que l’on sait. L’amalgame qui va enfermer l’Eglise dans sa gangue ne se résume cependant pas encore à cette confusion entre la connaissance du monde physique et celle du monde spirituel. Issu du prosélytisme d’une secte juive au sein de la Diaspora, irrigué du sang des martyrs aux époques de persécutions, le christianisme est devenu en quelques siècles un centre d’influence et bientôt une faction au sein de l’empire romain. On peut comprendre qu’à l’origine de cette évolution temporelle, il y ait eu le désir de protéger ceux qui confessaient la nouvelle religion et dont les ancêtres l’avaient payé de leur vie. Mais, comme l’a dit Charles Péguy, tout commence en mystique et finit en politique. C’est un moment de l’Histoire peu souvent évoqué et dont le film d’Alejandro Amenabar, Agora, donne un aperçu. On y retrouve la confrontation des représentations du monde physique - l’héroïne, Hypatie (370-415), qui finira lapidée par les chrétiens, est l’héritière des Grecs, elle spécule sur le caractère héliocentrique ou géocentrique de l’univers - qui se mêlent aux enjeux terrestres de la politique, aux ambitions personnelles des uns et des autres, aux luttes d’influence et de pouvoir. Voici donc notre amalgame complété: enjeux spirituels et enjeux terrestres s’y trouvent inextricablement mêlés.
Tournons-nous maintenant vers le monde d’aujourd’hui et vers l'un des dieux qu’il conserve: la science! J’emploie à dessein le mot «dieu» car la confiance totale que certains expriment à son égard relève pour moi d’un acte de foi et non de pensée. Ce qui compte dans le fonctionnement psychique, ce n’est pas le vocabulaire qu’on utilise mais la posture de l’esprit. Questionne-t-il ou vénère-t-il ? Est-il vigilant ou fasciné ? Le culte de la déesse Raison, instauré par Robespierre, n’est qu’un nouvel opium du peuple et va à l’encontre du dessein initial qui est de promouvoir l’exercice de la raison. La manière dont on donne aujourd’hui autorité au monde scientifique par dessus tout autre, la vergogne qu’on a à lui mettre la bride quand cela serait nécessaire vont à l’encontre de notre légitimité inaliénable d’êtres vivants. Et du progrès lui-même: je vais y venir.
D’abord, pour ceux qui s’imaginent les progrès de la science comme le déploiement d’une lumineuse infaillibilité, je recommanderai le livre d’Arthur Koestler: Les somnambules, qui décrit fort bien la succession de représentations tâtonnantes - de brouillons - qu’esquisse l’intelligence humaine au milieu des ombres de la réalité. Je rappellerai - pour ceux qui croiraient que nous avons atteint des vérités définitives - qu’au moment où Einstein mûrissait la théorie de la Relativité, les physiciens de son temps jugeaient que l’univers n’avait plus guère de secrets à nous révéler. Le petit employé aux brevets chamboula ces belles certitudes. Mais, à peine la Relativité avait-elle été énoncée que pointait une autre révolution, celle de la physique quantique qui n’en est pas encore à ses derniers développements. Dans un autre domaine, je rappellerai comment des médecins ont discrédité, au nom des Lumières, le malheureux Semmelweis parce qu’il voyait dans le décès des femmes en couches l’effet d’un facteur invisible provenant des salles de dissection. C’est ce mot: «invisible», qui l’a perdu! Pensez donc, une cause que l’on ne peut percevoir! «Mais, mon cher, ce Hongrois veut nous faire revenir à l’âge des sorcières!» Voici à l’oeuvre un autre amalgame: l’invisible - ou l’inconcevable - confondu avec le mensonge ou la superstition! Semmelweis eut beau démontrer par l’expérience ce qu’il soutenait, il eut beau diviser par cinquante les décès puerpéraux, l’entêtement idéologique du milieu médical viennois fut le plus fort. A cause de l’aveuglement de ceux qui se réclamaient de Lumières, des milliers de femmes continuèrent de mourir en couches chaque année. Jusqu’à ce que, quelques dizaines d’années plus tard, Pasteur et son microscope rendent visible l’invisible.
Les vérités deviennent folles dès lors qu’elles se veulent définitives. Elles deviennent vicieuses quand elles versent dans l’intolérance et épousent des causes qui ne sont pas de leur registre: la connaissance de l’univers physique et le pouvoir temporel s’agissant de l’Eglise, des idéologies et des causes politiques s’agissant de la démarche scientifique. Or, les amalgames d’aujourd’hui, s’ils laissent de côté les croyances religieuses, intègrent à haute dose un nouveau composant aussi redoutable qu’une idéologie: la rapacité financière. La puissance exploratrice de la recherche médicale est une des victimes de cette évolution, car ses orientations sont choisies par des empires industriels que nos amis américains englobent sous l’appellation de «Big Pharma». Comme ces empires vivent de la vente de ce qu’ils savent fabriquer, la médecine d’aujourd’hui est essentiellement une médecine de vaccins et de produits chimiques. Avec le recours à un storytelling qui vaut la Légende dorée de Jacques de Voragine. Avec un lobbying qui n’a son pareil que chez les semenciers industriels et les chimistes de l’agriculture. Avec aussi, parfois, des couacs que l’on entend, comme le Médiator ou la campagne de vaccination contre le H1N1 - et d’autres que l’on n’entend pas, comme les conséquences de la survaccination.
Mais j’oserai dire que, le plus grave, ce ne sont pas les accidents. Le plus grave, ce sont les dogmes qui, sous peine d’anathème et d’excommunication, au nom de la rationalité scientifique, interdisent d’explorer les terrains vagues. Or, c’est un phénomène récurrent dans l’histoire de la science que celle-ci progresse dans les zones d’ombre de ses théories successives. Si Einstein a conçu la théorie de la relativité, ce n’est pas au nom de la représentation newtonienne de l’univers, c’est parce qu’il y avait une bizarrerie que celle-ci n’expliquait pas. Si Flemming a découvert la pénicilline, c’est qu’au moment de jeter des boîtes de Petri accidentellement contaminées, geste banal s’il en est, il s’est posé une question saugrenue: pourquoi l’une d’elles avait-elle été protégée des bactéries ? Or, les dogmes actuels de la science médicale reposent sur une idéologie matérialiste - entendez par là que, pour elle, tout est matière - et reviennent finalement à la négation de l’invisible qui fit le malheur de Semmelweis. Au nom de cette idéologie, l’homéopathie est régulièrement condamnée comme une superstition et, si l’on en croit les Torquemada de la Miviludes, recourir aux médecines alternatives est un signe extérieur d’appartenance à un mouvement sectaire.
Le biologiste américain Bruce Lipton, qui a une vision audacieuse de la médecine, raconte que certains laboratoires essaient de repérer, pour les éliminer de leurs groupes-test, les personnes susceptibles de développer facilement un effet placebo. Il faut dire que celles-ci sont parfois plus nombreuses à être améliorées par une fausse pilule que celles à qui on a administré la substance testée! Mais, au lieu de jouer à cache-cache avec le phénomène, ne devrait-on pas au contraire s’y intéresser, essayer de comprendre comment fonctionne cet effet placebo ? Si l’on arrive dans certains cas à guérir sans médicament, il y a là une bizarrerie qui, aux yeux d’un Einstein de la médecine, devrait paraître sacrément prometteuse! Au lieu de cela, on se contente depuis des lustres de discréditer le phénomène et de le balayer sous le tapis: «C’est l’effet placebo!». Sous-entendu: «Circulez, il n’y a rien à voir». Il est vrai que guérir sans chimie ne rapporterait pas grand chose à ceux qui tiennent officine d’apothicaire... Si la recherche médicale n’était pas majoritairement aux mains de financiers qui protègent leur fonds de commerce, elle s’intéresserait aux guérisons inexplicables comme le petit employé aux brevets de Genève s’intéressa à la courbure anormale des rayons lumineux. Mais on risquerait alors de découvrir accidentellement l’art de ne pas tomber malade, et ce ne serait pas une bonne affaire! Il vaut mieux continuer de croire que la Terre est plate et qu’elle est le centre de l‘univers. Assignez donc Galilée à résidence et préparez le bûcher pour Bruno!
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27/10/2012
Métamorphose ?
S’il est une organisation dont l’influence a largement supplanté celle des religions les plus institutionnalisées au sommet de leur pouvoir, c’est bien l’entreprise. Le monde vit à son pouls et se regarde à travers ses yeux. L’accès à la subsistance et à un statut social, le sentiment d’avoir une valeur aujourd’hui dépendent d’elle. Si le ciel lui est sombre, pour nous, pauvres humains, il sera ténébreux. Elle a son dieu: la Croissance, une véritable déité aztèque, jalouse et insatiable, qu’il convient d’invoquer en permanence et à qui il faut tout sacrifier: la vie des hommes, la biodiversité animale, végétale et culturelle, les forêts primaires, la qualité de l’eau et de l’air.
Elle ses tables de la loi - «Il n’est d’autre but que la maximisation du profit». Elle a ses temples: les bourses du monde et les marchés financiers où se joue un jugement dernier permanent, où chaque seconde se fait la pesée des âmes. Elle a ses rites: le trimestriel reporting, l’assemblée générale annuelle des actionnaires, la réunion hebdomadaire du comité de direction. Elle a ses prophètes, ses grands prêtres, leurs acolytes et leurs enfants de coeur. CEO à succès qui martèlent les révélations qu’ils ont reçues. Consultants de haut vol qui entonnent les psaumes. Professeurs de business schools qui dispensent le catéchisme. Pontifes de l’économie qui profitent de la communion du 20 heures pour dire au peuple ce qu’il doit croire. Journalistes qui prennent soin des burettes et agitent l’encensoir. L’entreprise a même ses augures et ses astrologues qui, chaque jour, viennent nous annoncer les catastrophes ou les mondes nouveaux que de savants calculs ou l’examen des tripes de quelque volaille leurs permettent de pressentir. Elle a, aussi, ses excommunications et ses excommuniés.
Car elle décide du vrai et du faux, des vrais traitements et des fausses médecines, de la bonne agriculture et de la mauvaise, des saines politiques et des gouvernements irresponsables, des élus et des damnés. Elle décide aussi - ce qui est fondamental - du temps et de l’espace dans lequel nous devons vivre. Les religions d’hier nous disaient de sacrifier aujourd’hui aux promesses de l’au-delà. Cette religion moderne nous dit de sacrifier le long terme au court terme, pour ne pas dire à l’immédiat. Elle nous dit de sacrifier le village à la construction de la pyramide globale. Elle nous dit ce qu’est le vrai bonheur et nous enjoint de le trouver dans la consommation irresponsable de ses productions. Elle édicte ce qui fait un être humain acceptable - docilité et fongibilité - et ce qui rend la vie honorable et digne d’être vécue. Elle désigne ceux qu’il faut haïr, ce qu’il faut adorer, les valeurs qu’il faut promouvoir. Sa légitimité dans les affaires du monde surpasse aujourd’hui celle des Etats. Ceux-ci sont à genoux devant elle, le front plus bas que celui des rois, jadis, devant un pape. Les églises, les sectes et les fraternités, dont parfois l’influence vous inquiète, ne sont qu’escarbilles dans vos yeux. Le vrai pouvoir est ailleurs.
Ce portrait ne serait-il pas outrancier ? Je constate qu’aujourd’hui les humains d’une grande partie du monde, intellectuellement et matériellement, sont entre les mains de cette église de l’économie, pour le meilleur de quelques-uns et le pire de beaucoup d’autres dont le nombre va croissant. Que les immenses progrès de la productivité, qui auraient dû nous libérer et nous enrichir, n’empêchent point la misère de revenir en force dans nos pays, et qu’en plus les mauvaises pratiques de production tuent nos sols, souillent l’air et l’eau, nous abreuvent d’aliments suspects et d’artefacts infantilisants. Que certains progrès, notamment dans le domaine médical, cultural et énergétique, sont bloqués par les nervi infatigables des multinationales. Que les Etats ont été moralement subvertis et financièrement saignés, au point de n’être plus capables d’élever la voix et d’assumer leur rôle de justice et de solidarité au sein de la communauté qu’ils ont en charge.
Une métamorphose de l'entreprise est-elle possible ?
C’est une perspective que j’accueille volontiers, car je ne suis pas un ennemi de l’entreprise. J’en ai connu plusieurs, j’y ai fait carrière, j’y ai cru et j’ai aimé cela. Seulement, je suis d’une pénible lucidité sur la manière dont ce phénomène a dérivé, s’est emparé du monde et de l’humanité, et en fait ce qu’il en fait. François Mauriac parlait de ces vérités qui deviennent folles. Je crois que c’est le cas de cette forme d’organisation. Alors, j’ai de la gratitude pour les quelques cénacles qui nourrissent l’espoir qu’on pourrait retoucher la trajectoire et que des hommes et des femmes de bonne volonté, quelque lourd que paraisse le vaisseau, puissent y arriver. J’ai de l’admiration pour ceux qui animent ces cercles et nous donnent à moudre du grain de bonne qualité. Par exemple, on voit apparaître, ici et là, dans les commentaires à ce blog, le nom de mon ami Charles van der Haegen, qui est de ceux-là. C’est aussi le cas d’Arthusa, un organisme de formation de cadres dirigeants créé et animé par Philippe et Pascale Crouy à qui je donnerai un coup de chapeau. Jeudi dernier, leur grain à moudre s’appelait Guibert del Marmol. A l’âge de trente-et-un ans, cet homme a traversé une épreuve qui en aurait calmé plus d’un. Il a transformé sa façon de vivre et la représentation qu’il se faisait de sa propre réussite. Il a réorienté son existence sur l’espérance: celle qu’il a de faire des entreprises non seulement des organisations «propres», mais même des agents positifs de changement. Il disait que la définition de l’entreprise comme une machine à produire exclusivement du profit n’est qu’un dogme sans autre fondement que le respect qu’on veut lui accorder. Que les hommes sont malheureux et, parfois, se suicident quand ils doivent honorer des valeurs qu’ils ne voudraient à aucun prix transmettre à leurs enfants. Qu’on a de ce fait le droit imprescriptible de voir l’entreprise, et de la promouvoir, différemment. Il disait que, plus sûrement et plus rapidement que par la prolifération règlementaire, le monde peut se transformer par les initiatives des entrepreneurs et des citoyens. Je veux le croire et j’en guette les signes.
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23/10/2012
La volaille, les graines et le renard
J’ai le vague souvenir d’une expérience que l’on s’amusait à faire au poulailler quand j’étais gamin. D’une main, on saisissait la tête d’une poule pour l’abaisser brusquement bec vers le sol où, de l’autre, l’on traçait tout aussi vivement un trait. La volaille restait là un moment, tétanisée, hypnotisée. Cela faisait rire et nous donnait un futile sentiment de supériorité. Pourtant, nos cerveaux d’hommes modernes manifestent quotidiennement les mêmes faiblesses que celui du volatile. Le débat autour de l’étude du professeur Séralini sur la nocivité des OGM, avec les réactions de certaines institutions, nous en donne un exemple récent. Nous voilà rendus à compter les rats! Et si nous relevions le bec pour voir l’ensemble de la basse-cour et, si possible, au delà de son grillage ?
- Il y a un présupposé que l’on oublie derrière la réglementation actuelle des OGM, c’est qu’au départ les plantes génétiquement modifiées ont été présumées "équivalentes en substance» à leurs homologues non transgéniques. Ceci explique la légèreté et le secret des expériences scientifiques conduites par les industriels avant leur mise en marché et le faible degré d’exigence des institutions de surveillance. Or, ce présupposé n’est rien d’autre qu’une croyance fondée sur une représentation réductrice du végétal. Il n’a rien de scientifique.
- Que les études en question concluent à l’innocuité ou à la nocivité des organismes testés du point de vue de leur consommation, elles se limitent au registre des causalités directes à court terme. Or, si l’humanité se met à consommer des OGM, ce ne sera pas sur la durée de vie d’un individu mais sur les milliers de générations à venir. Au delà des effets cumulatifs et génétiques du temps long, cette consommation ne se fera pas dans le vide artificiel d’un laboratoire. Elle se combinera à la consommation d’autres substances naturelles ou artificielles que l’espèce ingèrera au cours des siècles. Nous avons là des interactions multiplicatrices d’imprévus.
- Tout l’intérêt porté en ce moment au danger possible de consommer des OGM nous fait oublier un risque encore plus lourd: celui de la recombinaison spontanée, en pleine nature, de ces organismes avec les autres plantes. Ces hybridations aléatoires peuvent déséquilibrer désastreusement notre écosystème. Elles peuvent inhiber la capacité reproductrice de certains végétaux, engendrant l’extinction de certaines espèces, et conférer à d’autres jusque là inoffensifs une immunité qui les transforme en envahisseurs redoutables. Il ne s’agit donc pas seulement de ce que nous voulons ou non avoir dans notre assiette. Il s’agit de la gestion du vivant là où nous vivons, et même de la gestion de l’autosuffisance alimentaire dont on va voir dans les mois et les années à venir qu’elle n’est pas une stratégie moyenâgeuse.
Regardons maintenant au delà des limites de la basse-cour.
- Dans un objet de consommation ne comptent pas seulement ses qualités intrinsèques mais aussi le processus qui a permis de le produire et, au delà encore, le système social que sa production engendre et développe. Un fruit ou un légume ne saurait me satisfaire parce qu’il est «bio» si, à côté de cette caractéristique, il est fondé sur une monoculture, des emplois mal rétribués et de longs transports routiers. Un smartphone n’est pas qu’un objet intelligent, ce sont les conditions de travail de ceux qui le fabriquent, les ressources que l’on épuise, la répartition de la valeur ajoutée entre les parties prenantes, le mode de vie qui en résulte pour l’utilisateur. S’agissant des OGM, il convient de prendre en compte le business model - pardon: le modèle économique - dont ils sont le levier, et le monde qu’il engendre. L’arsenal des brevets qui les caparaçonne et la stérilité dès la première récolte conduisent à l’asservissement de ceux qui les utilisent et à l’appropriation par des intérêts privés de l’autonomie alimentaire de l’humanité. A travers la solution technique, c’est non seulement la richesse mais le pouvoir qui sont impitoyablement drainés pour remonter entre les mains des promoteurs de ladite solution.
- Ceci me conduit à mon cinquième point, le plus important selon moi. Le débat technique est un enfermement. En ce qui concerne la nocivité des OGM, il escamote un niveau essentiel: le choix du monde et de la société dans lesquels nous voulons vivre. Il nous conduit à oublier que c’est au politique d’encadrer le commerce et non au commerce d’encadrer le politique. Choisir ce qu’elle mange ou ne mange pas, ce qu’elle accepte ou non sur son territoire, relève du droit imprescriptible d’une communauté. Elle n’a même pas à s’en justifier, il lui revient seulement d’en assumer les conséquences. S’il n’y a pas consensus, les règles publiques doivent protéger les préférences de chacun, en l’occurrence en obligeant à l’étiquetage et à la traçabilité des produits contestés et en permettant les conditions nécessaires aux cultures alternatives.
En résumé, le renard n’a pas sa place dans le poulailler même s’il nous explique toutes les précautions qu’il prendra pour ne pas effrayer la volaille.
14:06 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ogm, séralini, monsanto, bio, biodiversité