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23/10/2012

La volaille, les graines et le renard

 

 

J’ai le vague souvenir d’une expérience que l’on s’amusait à faire au poulailler quand j’étais gamin. D’une main, on saisissait la tête d’une poule pour l’abaisser brusquement bec vers le sol où, de l’autre, l’on traçait tout aussi vivement un trait. La volaille restait là un moment, tétanisée, hypnotisée. Cela faisait rire et nous donnait un futile sentiment de supériorité. Pourtant, nos cerveaux d’hommes modernes manifestent quotidiennement les mêmes faiblesses que celui du volatile. Le débat autour de l’étude du professeur Séralini sur la nocivité des OGM, avec les réactions de certaines institutions, nous en donne un exemple récent. Nous voilà rendus à compter les rats! Et si nous relevions le bec pour voir l’ensemble de la basse-cour et, si possible, au delà de son grillage ?

 

  1. Il y a un présupposé que l’on oublie derrière la réglementation actuelle des OGM, c’est qu’au départ les plantes génétiquement modifiées ont été présumées "équivalentes en substance» à leurs homologues non transgéniques. Ceci explique la légèreté et le secret des expériences scientifiques conduites par les industriels avant leur mise en marché et le faible degré d’exigence des institutions de surveillance. Or, ce présupposé n’est rien d’autre qu’une croyance fondée sur une représentation réductrice du végétal. Il n’a rien de scientifique. 

 

  1. Que les études en question concluent à l’innocuité ou à la nocivité des organismes testés du point de vue de leur consommation, elles se limitent au registre des causalités directes à court terme. Or, si l’humanité se met à consommer des OGM, ce ne sera pas sur la durée de vie d’un individu mais sur les milliers de générations à venir. Au delà des effets cumulatifs et génétiques du temps long, cette consommation ne se fera pas dans le vide artificiel d’un laboratoire. Elle se combinera à la consommation d’autres substances naturelles ou artificielles que l’espèce ingèrera au cours des siècles. Nous avons là des interactions multiplicatrices d’imprévus.   

 

  1. Tout l’intérêt porté en ce moment au danger possible de consommer des OGM nous fait oublier un risque encore plus lourd: celui de la recombinaison spontanée, en pleine nature, de ces organismes avec les autres plantes. Ces hybridations aléatoires peuvent déséquilibrer désastreusement notre écosystème. Elles peuvent inhiber la capacité reproductrice de certains végétaux, engendrant l’extinction de certaines espèces, et conférer à d’autres jusque là inoffensifs une immunité qui les transforme en envahisseurs redoutables. Il ne s’agit donc pas seulement de ce que nous voulons ou non avoir dans notre assiette. Il s’agit de la gestion du vivant là où nous vivons, et même de la gestion de l’autosuffisance alimentaire dont on va voir dans les mois et les années à venir qu’elle n’est pas une stratégie moyenâgeuse.  

 

Regardons maintenant au delà des limites de la basse-cour.

 

  1. Dans un objet de consommation ne comptent pas seulement ses qualités intrinsèques mais aussi le processus qui a permis de le produire et, au delà encore, le système social que sa production engendre et développe. Un fruit ou un légume ne saurait me satisfaire parce qu’il est «bio» si, à côté de cette caractéristique, il est fondé sur une monoculture, des emplois mal rétribués et de longs transports routiers. Un smartphone n’est pas qu’un objet intelligent, ce sont les conditions de travail de ceux qui le fabriquent, les ressources que l’on épuise, la répartition de la valeur ajoutée entre les parties prenantes, le mode de vie qui en résulte pour l’utilisateur. S’agissant des OGM, il convient de prendre en compte le business model - pardon: le modèle économique - dont ils sont le levier, et le monde qu’il engendre. L’arsenal des brevets qui les caparaçonne et la stérilité dès la première récolte conduisent à l’asservissement de ceux qui les utilisent et à l’appropriation par des intérêts privés de l’autonomie alimentaire de l’humanité. A travers la solution technique, c’est non seulement la richesse mais le pouvoir qui sont impitoyablement drainés pour remonter entre les mains des promoteurs de ladite solution.  

 

  1. Ceci me conduit à mon cinquième point, le plus important selon moi. Le débat technique est un enfermement. En ce qui concerne la nocivité des OGM, il escamote un niveau essentiel: le choix du monde et de la société dans lesquels nous voulons vivre. Il nous conduit à oublier que c’est au politique d’encadrer le commerce et non au commerce d’encadrer le politique. Choisir ce qu’elle mange ou ne mange pas, ce qu’elle accepte ou non sur son territoire, relève du droit imprescriptible d’une communauté. Elle n’a même pas à s’en justifier, il lui revient seulement d’en assumer les conséquences. S’il n’y a pas consensus, les règles publiques doivent protéger les préférences de chacun, en l’occurrence en obligeant à l’étiquetage et à la traçabilité des produits contestés et en permettant les conditions nécessaires aux cultures alternatives.  

 

En résumé, le renard n’a pas sa place dans le poulailler même s’il nous explique toutes les précautions qu’il prendra pour ne pas effrayer la volaille.

22/10/2012

Mise en ligne en accès libre de Commencements 2

Le n° 4 de Commencements est sur le métier pour une sortie avant Noël. Il prolongera le thème amorcé par le n° 3: Résiliences et énergies

 

andreu sole,laure waridel,deborah frieze,rené duringer,yeu,cyrille cahen,cl claridge,sylvie pouilly,caroline gervais,antonin léonard,marc tirel

 

Le n° 2 - Libérer la vie - étant presque épuisé, nous le mettons en ligne dès maintenant en accès libre afin que son contenu continue de profiter à tous ceux que cela peut intéresser :

 

 

http://co-evolutionproject.org/wp-content/uploads/2011/10...

 

  

En voici le sommaire:

Andreu Solé La comédie du bonheur

René Duringer « Free lifers »

Deborah Frieze L’avenir sans attendre

Yeu Grains de sel sur une île

Laure Waridel L’insoutenable illusion de notre impuissance

Antonin Léonard Les technologies et la société du partage

Caroline Gervais Entreprises : The Natural Step, un accélérateur de durabilité

Marc Tirel La puissance inquiétante de l’école mutuelle

Sylvie Pouilly Ralentir, c’est résister

CL Claridge Australie : http://www.slowmovement.com/

« Demain, la vie » A la recherche de soi : expérience d’une mise en abyme

Dr Cyrille Cahen Revenir au désir essentiel

 

Accès libre à Commencements 2: http://co-evolutionproject.org/wp-content/uploads/2011/10...

Pour ceux qui, comme moi, aiment bien le support du papier quelques exemplaires sont encore disponibles. Envoyez-moi un mot à cette adresse: thygr@wanadoo.fr 

 

27/09/2012

Reformulations

 

 

Je ne sais plus quel est le constructeur automobile dont le CEO, dans les années 90, avait déclaré à ses employés: «Votre travail n’est pas de construire des voitures, mais de capter des flux financiers!» C’est une reformulation du métier de l’entreprise qui en change le sens mais aussi les limites. Personnellement, j’ai souvent utilisé l’apologue du fabricant de bougies que la concurrence du gaz, de l’électricité ou du pétrole a condamné à la mort. Je soutiens qu’il aurait pu ne pas mourir si, au lieu de se définir par l’aspect technique de son activité, il s’était défini par le service qu’il apportait à la société: celui de la lumière. Si je fournis mes clients en bougies, je veille à toutes les améliorations que je peux apporter à mon produit, mais je n’ai plus de commandes dès lors que ceux-ci adoptent le gaz, l’électricité ou le pétrole. Si je me définis comme celui qui procure les moyens d’éclairer des lieux, je reste en permanence aux aguets quant aux différents moyens d’apporter la lumière dans les foyers, les ateliers ou les rues, et je peux anticiper et chevaucher l'innovation. 

 

D’autres exemples de reformulation me viennent à l’esprit, comme cette entreprise qui fabriquait des thermomètres d’ambiance et qui, après un travail sur son coeur de métier, s’est redéfinie comme «gestionnaire de l’énergie». Cela lui a permis d’élargir la gamme de ses activités et, de fabricant de bidules à poser sur les murs des ateliers, des bureaux ou des hôpitaux pour surveiller la température, de développer une expertise de conseil et d’ingénierie en économie d’énergie. Elle a continué à fabriquer des thermomètres mais, au lieu d’aborder ses prospects en leur disant: «Je vends des thermomètres», elle leur a dit: «Je peux vous aider à gérer vos dépenses énergétiques». Bien évidemment, elle ne s’est pas cantonnée à la reformulation de son métier, elle en a aussi tiré toutes les conséquences en matière de compétences à développer. Le coup de baguette magique est d'ordre psychologique. Ensuite, c'est un chemin d'exigence sur lequel on va ou non jusqu'au bout. Un fabricant de céréales pour le petit-déjeuner s’est un jour redéfini comme «quelqu’un qui apporte la santé par l’alimentation». Cela pourrait n’être qu'un artifice de marketing et je crains que, dans certains cas, on en reste aux effets commerciaux d’un nouveau slogan. Il y a toujours des tricheurs.

 

Je me souviens d’un de mes amis - s’il me lit, il se reconnaîtra - qui a quitté un laboratoire pharmaceutique parce que, de sa mission fondatrice qui était de contribuer à la protection de la santé, cette entreprise était devenue une simple productrice de substances chimiques à vendre aux plus offrants. En fait, elle avait adopté, sans l’exprimer, la même définition que proposait à ses employés le constructeur automobile que j’ai évoqué au début de mon propos. En ce qui la concerne, l’injonction aurait pu se traduire de la manière suivante: «Votre travail n’est pas d’aider les gens à rester en bonne santé, mais de capter des flux financiers». Ce glissement est typique de notre époque. Pendant quelques années, on a d’ailleurs réussi à nous faire croire que la recherche de la performance financière entraînerait de facto toutes les autres performances, qu’on produirait à meilleurs coûts de meilleurs produits et verserait de meilleurs salaires. En réalité, on a surtout multiplié des «capteurs de flux financiers», des objets ou des susbtances dont l’utilité est rien moins que démontrée, et la performance économique s’est faite au prix du découplage production / consommation: on fabrique où c’est le moins cher et on vend où il y a le plus d’argent.  

 

La reformulation du métier de l’entreprise est un levier puissant. Elle n’a pas d’effets que sur elle ou sur l’économie, elle a aussi, si je puis dire, des conséquences anthropologiques. L’entreprise, comme toute organisation, ne fournit pas que des produits, des services ou de la richesse matérielle. Elle est aussi productrice d’humanité - et ce terme recouvre le meilleur comme le pire. C’est un des pouvoirs et une des responsabilités - peut-être la plus essentielle - qu’elle ne peut renier. Selon l'histoire qu'elle se racontera, elle multipliera en son sein les artistes, les héros, les cyniques, les rapaces, les bons petits soldats sans états d’âmes ou les personnes conscientes et éclairées. On peut étendre cela à ses prescripteurs et à ses clients. L’humain est un être de sens. Alors, selon que vous proposerez comme ultime réussite l’utilité de l’entreprise ou la capture des flux financiers, selon que vous actionnerez les leviers de l’égo, de l’égoïsme ou de la générosité, selon aussi que votre discours à l’extérieur sera ou non le même que celui que vous tenez à l’intérieur, vous engendrerez des espèces différentes.

 

En ces temps non pas de crise mais de métamorphose, il n’est guère d’entreprise qui ne se sente menacée. Le monde que nous avons connu, dont nous maîtrisions et exploitions les logiques, se dérobe inexorablement sous nos pieds. Ma conviction est que l’avenir est bien au delà de ce que nous sommes capables de concevoir aujourd’hui. Nous avançons dans l'inconnu en essayant de ne pas perdre de vue des représentations familières, mais celles-ci coïncident de moins en moins avec la réalité. Les écosystèmes naturels laissent mourir les espèces qui ne leurs sont pas utiles et ce qui est en train d’émerger est un nouvel écosystème. De même qu'une longue-vue au sein d'une purée de pois, les stratégies à objectifs ne sont plus pertinentes. Sommes-nous des fabricants de bougies ou des apporteurs de lumière ? Telle est la question qui peut nous sauver. Elle nous fera découvrir des aspects de nous-mêmes, des compétences, des sensibilités, des capacités qui jusqu'ici étaient secondaires, latentes, voire inaperçues, et qui seront peut-être nos points d'appui de demain. Elle vaut pour les entreprises et les institutions comme pour nous-mêmes.