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05/04/2021

Après la pandémie

 

Acte I 

Allocution présidentielle du 25 Floréal, An I

 

Mes chers compatriotes,

Notre république va reprendre le chemin de l’exemplarité !

Vous savez à quel point vous vous êtes endettés afin de soutenir vos entreprises pendant la crise du Covid, crise que votre discipline - associée à une politique gouvernementale rigoureuse - a réussi à réduire. 

Vous savez aussi que, depuis les élections, la Commission européenne - et elle a raison de le faire - n’a de cesse de nous demander la réduction de notre endettement. Elle a raison de le faire, car, au titre de la dette souveraine, chacun d’entre vous en comptant les nourrissons doit 50 000 euros à divers fonds internationaux. 

Nous avons depuis longtemps dépassé les bornes et nous sommes menacés d’une mesure internationale qui entraînerait le blocage des comptes de la France et, avec lui, la suspension du paiement des salaires des fonctionnaires et des pensions de retraite, du versement des aides agricoles, l’arrêt de tous les investissements non productifs comme la rénovation des hôpitaux, des HLM, etc. 

Jusqu’à présent, vous le savez, afin de maîtriser la dette nous n’avions que deux leviers: l’un est l’impôt dont malgré mes efforts pour l’alléger la pression n’a cessé d’augmenter; le deuxième est la réduction des dépenses publiques dont on a beaucoup parlé à propos de la Santé lors de la crise sanitaire. 

Je ne vous cache pas que, pour moi, ce mécanisme est d’une grossièreté que je qualifierai de barbare.

Rompant avec le laxisme et l’irresponsabilité de mes prédécesseurs qui se sont contentés de faire au fil des jours des ajustements à la marge, bref tout sauf une vraie politique, j’ai décidé, afin de vous soulager de son service, de porter un coup décisif à la dette !

C’est donc une guerre et, je vous le promets, tous ensemble nous la gagnerons. Nous la gagnerons cette année-même. 

Elle se déroulera en trois temps.

D’abord, j’ai décidé de supprimer toute fiscalité liée à la propriété immobilière. C’est ainsi qu’à partir du 13 Prairial de cette année, l’Etat deviendra propriétaire de toutes les résidences principales et secondaires que possèdent ses ressortissants sur le sol français. 

Vous n’aurez rien à faire, vous n’aurez même pas à vous présenter chez le notaire. A minuit, le 12 Prairial, le fichier informatisé de la propriété privée sera automatiquement mis à jour et l’Etat se substituera à vous. 

Aussitôt, les propriétaires de ces résidences deviendront locataires de l’Etat à qui, comme il est normal, ils verseront naturellement un loyer. Celui-ci, à l’instar de l’impôt sur le revenu, sera prélevé automatiquement à la source. Toutefois, pour favoriser votre acclimatation à ce nouveau régime, le premier prélèvement sera différé de six mois.

Qui dit location, dit contrat de location. Les règles d’occupation des locaux concernés parviendront à chaque ex-propriétaire, avec la notification du montant de son loyer, dès la bascule faite, le 13 Prairial.

Devenant propriétaire, l’Etat assurera le gros entretien et les réparations des logements: une charge que vous apprécierez de ne plus supporter. Mais ce n’est pas tout. En ce qui concerne les crédits contractés par les accédants à la propriété, un autre grand soulagement que les ménages apprécieront aussi : ces crédits seront repris par l’Etat. 

Bien évidemment, vous resterez redevables de vos consommations personnelles d’eau et d’énergie. Cependant, vous savez que nous avons ici et là, depuis quelques années, en particulier l’hiver, des problèmes d’approvisionnement, notamment électrique. Nous sommes en train de réfléchir à un dispositif qui, au nom de l’Egalité qu’affirme fièrement notre devise républicaine, à laquelle je suis attaché comme vous le savez, permettrait d’organiser la solidarité nécessaire afin d’éviter qu’il y ait selon les régions ou les réseaux des foyers que le sort avantage ou désavantage. J’ai insisté auprès du Gouvernement pour qu’il me propose rapidement un dispositif qui mette tous les Français sur un pied d’égalité. 

Oui, je vous entends: c’est une révolution ! La France n'est-elle pas, justement, le pays des révolutions ?

Imaginez-vous ce que celle-ci représente pour vos enfants et petits-enfants ? Vous vous disiez « Vivement que l’on n’entende plus parler de cette dette! » Eh! bien, c’est ce que vous allez offrir aux générations futures : ne plus entendre parler de la dette ! 

Voilà, brièvement exposé mais de manière suffisamment claire, je l’espère, le premier temps de notre grande réforme. J’en viens au deuxième. 

L’Etat logera l’ensemble de ce parc immobilier, avec la responsabilité de son entretien et de sa gestion, dans une structure dédiée que nos juristes sont en train d’élaborer. En vue du troisième temps, cette structure devra déterminer la politique et les moyens de sa rentabilité.

« Et la dette ? » allez-vous me demander. 

J’y viens justement avec le troisième temps.

Le troisième temps consistera à revendre le parc immobilier ainsi créé: vous l’aurez maintenant compris, c’est le prix de cette vente qui sera reversé à nos prêteurs et qui diminuera ainsi spectaculairement le volume de la dette de la France. Je conçois que ce qui va se passer constituera pour certains d’entre vous une sorte de sacrifice, mais ce sacrifice - s’il fallait ainsi le nommer - a, vous en conviendrez, une belle contrepartie !

Sans doute vous demandez-vous qui peut avoir les moyens d’acquérir un parc immobilier d’une telle ampleur. Je ne vous cache pas qu’il y a peu d’entités d’une surface suffisante pour cela. C’est pourquoi je m’active au plan international afin de constituer avec de grands partenaires financiers un consortium ad hoc. Pour autant, sachez que nous avons déjà reçu des intentions d’acquérir. Nous les étudions aussi évidemment, mais vous serez d’accord avec nous qu’il ne s’agit pas de vendre à n’importe qui le patrimoine des Français - votre patrimoine.

J’entends déjà vos soupirs de soulagement: enfin! cette satanée dette qui nous écrasait et menaçait de devenir aussi obsessionnelle que le coronavirus va être ôtée de vos épaules !

Mes chers compatriotes, je ne doute pas de votre gratitude et je vous remercie de votre attention.

 

 

Acte II

Difficultés passagères

 

Le Gouvernement croyait les Français affaiblis par les deux ans de pression sanitaire qu’ils venaient de subir. Certes, les jours qui suivirent l’allocution présidentielle, bien quelle eût concerné des millions de personnes, il y eut peu de vagues. On peut supposer que les propriétaires étaient sous le choc, incrédules, espérant se réveiller bientôt. Jamais on n’aurait imaginé ce qui venait d’arriver. Ceux qui lisaient le plus se souvenaient vaguement que ce scénario avait été agité par de soi-disant « lanceurs d’alerte » qui prétendaient avoir mis leur nez dans les dossiers d’un think tank proche du Nouveau Socialisme. L’accusation de complotisme avait étouffé leurs voix. Supprimer la petite propriété individuelle ? Allons, c’est impossible ! Arrêtez de faire de l’alarmisme ! Napoléon Ier l'avait pourtant bien dit: « Impossible n’est pas Français ».

 

Les sondages du lendemain de l’allocution présidentielle mirent en avant une sorte d’acquiescement de la population, dont on ne put dire cependant s’il était le fait de la surprise, du fatalisme ou d’autre chose. Peut-être, parmi ceux qui approuvaient la mesure, pouvait-on trouver une proportion de locataires qui n’avaient pas la moindre perspective d’accéder un jour à la propriété et qui se réjouissaient que tout le monde se retrouvât ainsi dans les mêmes draps. Mais, comme l’institut de sondage n’avait pas retenu le statut des sondés, on en fut réduit à des conjectures. 

 

Les médias diffusèrent quelques micro-trottoirs qui venaient conforter les sondages. Une petite dame âgée, prénommée Mauricette, manifesta son contentement: elle n’aurait plus à se soucier de l’entretien et des réparations de sa petite maison. Un jovial rondouillard compara ce transfert de propriété à un viager avec l’avantage supplémentaire qu’avoir l’Etat pour débirentier était la sécurité maximale qu’on pût rêver. L’intervieweur n’eut pas la présence d’esprit de lui rappeler que c’était lui qui allait verser un loyer à ce prétendu débirentier. Mais il y avait longtemps que les journalistes semblaient ne plus avoir de présence d’esprit. Depuis les débuts de la crise sanitaire, les questions les plus pertinentes étaient rarement posées et, quand elles l’étaient, elles obtenaient encore plus rarement une vraie réponse. Au cours du micro-trottoir, un plaisantin, probablement, déclara aussi qu’il ne savait comment déshériter ses enfants et qu’ainsi c’était chose faite. 

 

Plusieurs économistes vinrent sur les plateaux de la télévision expliquer tous les avantages de cette mesure et en vanter le caractère extraordinairement novateur, pour ne pas dire disruptif. C’était, selon eux, win win pour toutes les parties prenantes. L’expression win win - gagnant gagnant - fit florès aussitôt et elle devint la devise et le cri de ralliement de la majorité présidentielle. De leur côté, des médecins se félicitèrent que, l’Etat étant maître des résidences, on pourrait désormais équiper systématiquement celles-ci de tout le matériel nécessaire à la « veille santé » de la population. L’un d’eux cita un modèle de toilettes commercialisé au Japon, qui analysait au passage l’urine et les défécations et pouvait transmettre les analyses au médecin, à l’ARS et à l’assurance-maladie*. Un transhumaniste se moqua de l’invention japonaise - elle est nippone ni mauvaise plaisanta-t-il - et démontra la possibilité, avec le logement devenu espace hyperconnecté, d’hybrider massivement l’homme et le « réseau » pour avoir une information en continu sur les données vitales des habitants, sans passer par les toilettes. 

 

Le 12 Prairial, à minuit, le transfert eut lieu comme prévu. Indolore. Au matin, les propriétaires de la veille se réveillèrent locataires et constatèrent qu’ils ne ressentaient qu’une sourde angoisse. Cependant, lorsque, quelques heures plus tard, ils reçurent le document leur révélant le montant du loyer qu’il leur faudrait bientôt acquitter, la tristesse et la colère envahirent les foyers. Ceux qui poussèrent la curiosité jusqu’à lire les clauses du bail dans le détail furent encore plus mal à l’aise: un bailleur de l’époque de Balzac n’eût pas fait mieux. Leur ressenti immédiat fut qu’ils n’étaient plus chez eux, ce qui était juridiquement exact. Puis ils se dirent que c’étaient les détails habituels de ces contrats et essayèrent de se noyer dans les routines de leur quotidien. 

 

Cependant, quand une proportion accrue de la population concernée se rendit compte des implications de la réforme et que la franchise de loyer approcha de sa fin, la tension se mit à monter. Elle émanait principalement de deux « clusters » - le mot, mis à la mode par l’épidémie était utilisé maintenant à tout propos. D’une part, il y avait tous les fils et filles des ex-propriétaires, qui avaient espéré hériter un jour la maison de leurs parents. Ils ne parvenaient pas à déglutir la pilule, à croire que perdre l’espérance d’un bien est plus pénible que perdre le bien lui-même. Ils traitèrent leurs parents d’aveugles, d’irresponsables et d’égoïstes pour n’avoir pas vu venir cette fourberie et avoir mis et laissé au pouvoir une clique d’escrocs. D’autre part, tous les membres des petites communautés de plus en plus nombreuses qui s’étaient constituées autour d’un projet de vie basé sur le concept d’autonomie locale, se retrouvaient pour leurs logements locataires de l’Etat, donc dépendant de lui, avec le risque de ne pouvoir honorer le loyer compte tenu du modèle économique qui était le leur. Ils voyaient s’évanouir la « transition » qu’ils avaient imaginé engager. Quelques-uns d’entre eux avaient connu l’époque des ZAD et avaient encore le sang vif. Sous leur impulsion, commencèrent alors des manifestations qui inquiétèrent l’Etat. Cela d’autant que le Ministre des Finances allait commettre la maladresse de passer d’un loyer mensuel à un loyer trimestriel et d’en prélever d’avance, et non à terme échu, la première échéance.

 

L’on dit qu’une nuit, vers trois heures du matin, le Président, contaminé par les insomnies dont souffrait son épouse, convoqua sans délai le premier ministre et le locataire de Bercy pour les sermonner. De cet entretien secret, quelques bribes - on ne sait comment - s’échappèrent. N’avait-il pas dit qu’il ne fallait pas brusquer les choses ? « La dette, on va la diminuer comme jamais dans notre histoire, alors quelle est cette obsession de faire rentrer de l’argent à tout prix ? » De mauvais esprits interprétèrent cette prétendue fuite d’information comme la mise en scène, pour les gogos, du bon et du méchant. Pendant que le bon et le méchant font mine de se disputer, le train continue de rouler vers sa destination. Puis, maniant la carotte et le bâton, le Président de la République fit donner les forces de l’ordre - en leur demandant de ne pas frapper trop fort** - et annonça en même temps un allègement des loyers de l’ordre de 7,5% pour les trois prochains mois sauf en cas de contravention à l’ordre public. Il annonça aussi la création d’un comité citoyen consultatif d’une centaine de membres pris au hasard sur les listes électorales. 

 

A la différence des ouvriers de Germinal et moins encore que les Gilets Jaunes, les petits propriétaires n’avaient l’habitude de se mesurer aux forces de l’ordre. Il fut facile à celles-ci de les disperser. Les ex-Zadistes avaient pris de l’âge et ils furent trop peu nombreux pour enrayer la déroute. Il y eut une vague de suicides qui emporta principalement des gens dont on put vérifier qu’ils étaient déjà atteints de problèmes psychologiques. Un préfet fut assassiné, probablement par un terroriste caractériel. Un calme lourd et résigné retomba sur le pays.

 

Dans les mois qui suivirent, il y eut ici et là une multitude d’incidents qui alimentèrent une grogne impuissante. Une fuite d’eau relevant du propriétaire, donc de l’Etat, ne fut arrêtée qu’au bout de quatre mois, laissant une ardoise de plusieurs milliers d’euros au locataire. Plusieurs familles connurent un hiver sans chauffage. D’autres locataires se retrouvèrent au tribunal pour non paiement des loyers, alors que le préfet refusait d’expulser les squatteurs qui s’étaient installés dans leur logement à la faveur des vacances. Les médias traitèrent cela avec humour, insistant sur la rareté de ces « bugs ». Les représentants du consortium financier devenu propriétaire du parc immobilier créé par l’Etat français, vinrent à la télévision apporter le chiffre réconfortants des logements réhabilités et modernisés, et le nombre de moratoires accordés aux ménages en difficulté.

 

On s’habitue à tout. On s’adapte à tout. La vie continua. 

 

 

Acte III

Le retour des complotistes

 

Sur les réseaux sociaux, depuis l’affaire que certains ont appelée le MSHGate, les vidéos complotistes ont repris de plus belle. 

 

Vidéo d’un économiste:

  • Je suis atterré ! Une escroquerie aussi grossière, et rien ni personne pour l’empêcher ! Voilà donc que l’on a spolié les Français, une grande partie des Français, de leur patrimoine afin, avait-on dit, de soulager le pays de la totalité de sa dette. Et le résultat, c’est quoi ? Le résultat, c’est que nous sommes toujours endettés ! On découvre aujourd’hui que le Gouvernement a finalement bradé le patrimoine des Français. Il prétendait avoir des offres d’achat. Or, l’on apprend qu’au bout d’un an de prétendues négociations, le prix de la transaction ne représente plus que 40% de la valeur initiale des biens volés aux Français ! Peut-on parler d’incompétence ? Cette apparence de nullité ne dissimulerait-elle pas plutôt la plus grande arnaque de tous les temps ?

 

  • Comment se fait-il que ni la presse, ni les représentants du peuples, ne peuvent obtenir la copie du contrat qui a été signé par l’Etat avec le Consortium ? Que les copies qui circulent sont toutes caviardées au point qu’à peine un tiers du texte est lisible ?

 

  • Et que nous annonce au surplus la société gestionnaire ? Un durcissement de l’encaissement des loyers et des conditions d’occupation des logements ! Des procédures d’expulsion simplifiée avec le recours d’office à la force publique ! Cela, alors qu’une grande partie de ces logements sont occupés par des retraités - leurs ex-propriétaires - c’est-à-dire des personnes âgées en même temps que la catégorie sociale dont les revenus ont le plus diminué au cours de ces dernières années - si l’on excepte les chômeurs! Mais, évidemment, encore une fois, ce sera être complotiste que se poser des questions ?

 

Sur une chaîne spécialisée, en revanche, au moment de la rétrospective annuelle l’optimisme triomphe :

« Heureux investisseurs ! Ne vous avions-nous pas conseillé de miser sur MySweetHome. Eh! bien, à peine entré en bourse, le titre a enregistré une plus-value de 50 % ! Merci qui ? » 

 

Commentaire de l’économiste précédemment cité:

  • Cette plus-value ne représente que la différence entre la vraie valeur du patrimoine des Français et le prix bradé que le Gouvernement a accepté !  

 

Commentaire du Ministre de l’Intérieur :

- Il est temps d’en finir avec la complosphère et ses dérives fascisantes !

 

Un an plus tard, à vingt heures:

 

Mes chers compatriotes, 

Malgré vos efforts et les nôtres, la note de la France continue de se dégrader, car non seulement elle s’est dépossédée d’une part considérable de son patrimoine pour freiner sa chute, mais ce qu’il reste de dette est encore considérable. Pressé par les instances internationales, le Gouvernement étudie un programme de privatisation qui pourrait impliquer l’éducation, la santé, le patrimoine historique et le réseau des routes nationales. Libérer les générations à venir de la dette, telle est l’ambition que nous avons chevillée au corps. Conscients de votre soutien, nous ne lâcherons rien !

 

 

Acte IV

Emission « 5 colonnes à la Une »

 

* Au cours de ces trois dernières années, ce sont environ 25% des personnes devenues locataires de leur logement qui ont dû le quitter, faute d’avoir les moyens de faire face à la hausse des loyers et des charges locatives. Les plus touchées sont les personnes à la retraite. Le consortium MySweetHome explique qu’il a dû investir massivement afin de réhabiliter un patrimoine en grande partie vieillissant et l’enrichir du système de veille médicale et sanitaire dont le Gouvernement avait prescrit la généralisation dans l’acte de cession. 

 

* On a enregistré une hausse des suicides dans la tranche d’âge supérieure à soixante-dix ans. Cependant, malgré ce que prétendent les milieux complotistes où prolifèrent actuellement des sectes dangereuses, il ne semble pas que ce soit en rapport avec les problèmes de logement. Notre enquête montre qu’une grande partie de cette population s’est repliée sur les HLM et s’y trouve bien.

 

* Micro-trottoir

« Bien sûr, ce n’est pas l’espace et la tranquillité que nous avions dans notre ancienne maison. Nous nous sommes aussi séparés d’un lieu qui était empreint de nos souvenirs. Mais, à vrai dire, ce n’est pas plus mal. Ce n’est pas sain au fond de s’encombrer du passé. En plus, cela fait moins de ménage pour ma femme et cela nous laisse un peu d’argent de poche. »

 

« C’est plus normal que notre maison - je veux dire: notre ancienne maison - accueille une famille. Il y a moins d’espace perdu. Dans la situation où est la France, il faut savoir se serrer les coudes entre compatriotes ».  

 

« Cela faisait des mois qu’on attendait d’être mieux logés. Nous, c’est-à-dire moi et ma famille, mes enfants, ma mère. C’est vrai que c’est plus logique qu’à six nous puissions vivre dans une grande maison avec un jardin et une piscine qu’occupaient seulement deux personnes avant la réforme. Pour les enfants, c’est génial. » 

 

« Les écologistes se félicitent de ce qu’a fait le Gouvernement. En effet, quand le parc immobilier existant est suffisant pour loger une population, pourquoi chercher midi à quatorze heures ? Construire de nouveaux logements, c’est puiser sur les ressources limitées de la Terre et ce sont des pollutions de toute sorte. Ç’aurait été du gaspillage de ne pas faire ce qui a été fait. C’est un pas significatif dans la réponse au réchauffement climatique. »  

 

Quelques brèves

 

* Le Gouvernement vient de créer un conseil scientifique pour analyser le phénomène qu’il juge préoccupant de la multiplication des SDF. Le président de cette nouvelle structure, le Dr Défraîchy, a déclaré que la complexité du sujet nécessite une approche transdisciplinaire et que, faute de statistiques fiables, il faudra sans doute attendre plusieurs mois avant qu’il soit en mesure de rendre son rapport et d’énoncer des préconisations. Il précise toutefois que l’on a vraisemblablement exagéré le phénomène. 

 

* Des sociétés de gestion sur le modèle de MySweetHome sont apparues un peu partout dans le monde et obtiennent leur entrée en bourse. Cela entraîne une tension sur les titres relatifs à cette activité. Toutefois, en annonçant un programme de renouvellement des occupants de son parc de logement, MySweetHome a vu ses actions reprendre du poil de la bête. Les observateurs se demandent quand même combien de temps la société continuera de trouver les leviers de croissance de sa rentabilité. 

 

* Depuis qu’elle reçoit de diverses autorités nationales l’autorisation de déployer son système de veille sanitaire, la société MySweetHealth ne cesse de voir la valeur de ses titres s’envoler. Plus de vingt millions de logements dans le monde sont aujourd’hui équipés de capteurs de données physiologiques. Cependant, le PDG de la société a déclaré que ce qui reste à faire est colossal. Il envisage de prêter aux Etats par l’intermédiaire de sa filiale financière afin de leur faciliter l’acquisition de ses installations.  

 

* En même temps, la société de restauration collective MySweetHunger déploie un service de repas à domicile qui prend en compte les données de santé des locataires fournies par MySweetHealth. Notre ministre de la santé s’est félicité de cette innovation qui, grâce à une diète hygiénique, assurera aux locataires une longue vie en bonne santé tout en épargnant le budget de la communauté nationale. Dans le monde, plusieurs ministres de la santé ont annoncé une règlementation faisant obligation aux personnes dont les paramètres de santé s’écartent des moyennes recommandées d’adhérer à ce service, faute de quoi leur accès aux soins pourrait être réduit. 

 

* Le phénomène semblait éteint: aux cris de « Vivre libre! » et de « Etienne! Etienne! », des colonnes que l’on soupçonne d’être composées d’anciens Zadistes mais où se dissimuleraient des sectes et des mouvements d’extrême-droite se sont mises à converger des quatre coins de France vers Caylus, dans le département du Lot. Pourquoi Caylus, cela reste un mystère.  Un historien évoque le phénomène des croisades d’enfants de l’époque médiévale. Mais Caylus n’est pas Jérusalem et n’est connue que pour ses fossés où Paul Féval situe une scène de son roman Le Bossu. En tout cas, le ministre de l’intérieur a déclaré qu’il avait la situation en main. 

 

* https://www.arte.tv/fr/videos/102579-000-A/toilettes-conn... 

** Il y eut cependant quelques éborgnés. 

22/03/2021

Eloge de l'exercice complotiste (7/7): La plus belle ruse du diable

 

7. La plus belle ruse du diable

 

Il y a quelques jours, YouTube a clôturé unilatéralement la chaîne de France Soir qui comptait 270 000 abonnés. Auparavant, depuis l’irruption du covid, nombre de scientifiques ou de lanceurs d’alerte en désaccord avec les thèses et mesures sanitaires retenues par le Gouvernement ont déjà vu, sur cette plateforme ou sur d’autres, leurs publications censurées. Serait-ce que YouTube, Facebook et Twitter ont une équipe de savants d’un niveau tel qu’elle soit à même de se mêler d’un débat scientifique ? Je ne parlerai même pas des gardiens autoproclamés de la vérité qui répandent impunément des mensonges sur les uns ou les autres du moment qu'ils critiquent la gestion de la prétendue crise sanitaire, comme cette minuscule officine que je préfère ne pas citer qui dénigre bassement Alessandra Henrion-Caude. Or Mme Henrion-Caude est une généticienne qui a au moins d’aussi bonnes garanties de compétence que le vedettariat médical des plateaux de télévision. Mais il y a pire en matière de désinformation. Comment a-t-on pu porter aussi loin le mensonge que l'étude, bidonnée à grands frais, que The Lancet a publiée, à laquelle fut donné le plus d’écho possible et sur laquelle l'OMS et notre Gouvernement s'appuieront pour interdire le traitement précoce du Covid à l'hydroxychloroquine ? Cette même étude qui sera dénoncée non par les médias de masse, qui semblent ne plus avoir de journalistes d'investigation, mais par des lanceurs d'alerte - de France Soir par exemple - et que The Lancet, piteusement, retirera quelques jours plus tard ?  


Depuis que le coronavirus squatte les plateaux de télévision, force est de constater que la censure et les fatwas pseudo-scientifiques sont devenues banales. Je rappelle, par exemple, que pour un différend scientifique Didier Raoult a été menacé de mort par un de ses "confrères" de Nantes. Par comparaison, le procès de Galilée sera bientôt du pipi d’opérette. Or, le fait même que la pratique du mensonge, des insultes et de la censure soit devenue banale devrait induire tout citoyen quelque peu éveillé, s’il ne l’a déjà fait, à remettre en question sa représentation du monde. Nous ne sommes plus dans le monde que nous croyions. Il faut le dire et le redire: que le droit d’expression et a fortiori le débat scientifique soient entravés constitue un changement radical de société dont les conséquences potentielles sont considérables. Bien sûr, tout le monde n’est pas censuré et on a de ce fait un paysage en trompe-l’oeil. Il faut atteindre un certain nombre de followers, donc une notoriété menaçante, pour se retrouver sous surveillance. J’imagine que les censeurs adoptent la règle des 20/80: s’en prendre aux 20% des divergents qui font 80% de l'audience. Les 80% à faible audience qu’on laisse à peu près tranquilles - comme moi - servent ainsi à entretenir l’illusion du maintien de la liberté d’expression.


La science n’avance pas grâce aux conformistes. Elle avance grâce à une remise en question permanente, c’est-à-dire grâce aux voix discordantes qui, à leurs risques et périls, s’en prennent aux dogmes et à leur clergé. Les citoyens, quant à eux, que l'on juge suffisamment intelligents pour avoir encore le droit de vote, se forgent leurs idées dans la confrontation et l’échange. Il leur appartient de décider de la société dans laquelle ils veulent vivre et notamment des risques qu’ils sont prêts à prendre et de ceux qu’ils préfèrent écarter. Selon la métaphore de Platon, en démocratie le peuple est l'armateur du navire et décide de sa destination, le capitaine est responsable de la route à prendre pour y parvenir. Les citoyens peuvent se tromper ? Etre libre, c’est avoir ce droit et, oserai-je ajouter, il vaut mieux être victime de ses propres erreurs que de celles des autres. Sans une libre-circulation des opinions dans leur diversité, les mensonges ont un boulevard devant eux, et il n’y a pas de démocratie possible.

 

Quels sont les critères, les compétences et les ressorts des dirigeants des « réseaux sociaux » et de certains groupuscules fanatiques pour décider de ce que nous avons le droit de savoir ? Les plateformes qui censurent invoquent les « règles de la communauté ». C'est une terminologie mensongère. Elles ne constituent en rien une communauté. Elles ne sont pas des organismes coopératifs dont les usagers seraient en même temps les membres. Sinon, ceux-ci devraient être consultés et débattre entre eux avant que l’on décide que telle opinion ou telle autre doit être censurée. En vérité, ces plateformes ne sont rien d'autre que des terrains privés sur lesquels on nous concède la possibilité de planter notre tente en échange de tout ce que l’on pourra apprendre sur nous. Alors, quels sont les critères d’éviction ? Comme dans tous les romans policiers, il faut chercher à qui le crime profite. 

 

En ce qui concerne ce qui a trait au covid, j’observe d’abord une forme de complicité avec les marchands de vaccin, car les règles de la prétendue « communauté » vont systématiquement à l’encontre des propositions de traitement précoce et menacent toute critique de la vaccination - en l’occurrence, avec celui de Pfizer notamment, d'une thérapie génique qui ne dit pas son nom. Je n’exclue pas une connivence politique car les genres peuvent être mêlés, mais quel peut être l’intérêt de YouTube ou de Facebook à complaire au gouvernement français ? J’y reviendrai, mais, pour le moment restons sur le terrain d’une forme de solidarité entre des géants de l’économie mondialisée. Quelle peut être la nature de cette complicité ? Plusieurs hypothèses sont envisageables. Je vous laisse soupeser dans quelles proportions elles peuvent justifier une telle pratique de la censure. 

 

La première qui vient à l’esprit est celle des liens d’intérêt. Mais en quoi les GAFAM auraient-ils besoin de l’argent ou des influences de BigPharma ? Une autre hypothèse serait celle d’une solidarité de classe: entre membres de la ploutocratie mondiale, on ne se refuse pas quelques services, un jour ou l’autre un retour d’ascenseur peut être le bienvenu. Personnellement, ces deux premières hypothèses - qui peuvent se combiner - n’emportent pas vraiment mon adhésion. Elles ne me semblent pas se suffire à elles-mêmes. Pourquoi les GAFAM soutiendraient-ils une politique médicale davantage qu’une autre ? Parce que le modèle économique qui consiste à évacuer les vieux produits sans rendement financier au profit de nouveaux produits à grosse marge relève d’une même école de gestion devenue une école de pensée, une idéologie ?

 

Et la dimension politique ? Le soutien apporté aux gouvernements est-il seulement justifié par les mesures sanitaires qu’ils promeuvent, ou cela va-t-il plus loin ? A-t-on l’explication de la clôture du compte de France Soir sur YouTube après l’interview d’un humoriste ? 270 000 abonnés floués en appuyant sur un bouton ! Invoquera-t-on, s’agissant de Bigard, la protection des populations contre des propos scientifiques dangereux ? Ou bien s’agit-il de protéger des politiciens ? Mais pourquoi, à moins qu'il s'agisse d'hommes-liges que les grandes compagnies ont infiltrés au sein de la puissance publique ?

 

Il reste une hypothèse - et si vous en avez d’autres à partager, elles seront les bienvenues - c’est celle non plus d'une complicité mais d’une solidarité fondée sur une idéologie commune, sur la représentation partagée d’une « Terre promise » à atteindre et de la « gouvernance » (que j’ai évoquée précédemment) à mettre en place pour y parvenir.


Peut-être avez-vous du monde une représentation plus simple que la mienne. J’avoue que, pour moi, les évènements que nous avons sous les yeux depuis un an n’ont pas un sens évident et que les discours officiels ne parviennent pas à emporter ma conviction. Trop de contradictions, trop de flou, trop de mensonges aussi effrontés qu'avérés au fil des mois. Expliquer ce qui se passe au moyen de nos catégories habituelles laisse mon besoin de comprendre sur sa faim. Mais, bien sûr, si j’essaye de partager mes doutes et de trouver une interprétation plus cohérente et qui embrasse en même temps toutes les pièces du puzzle, on me jettera l’anathème du complotisme. Ce dont, autant vous le dire, je me tamponne le coquillart sur toutes les longueurs d’onde. On peut craindre les balles, je le comprends, mais se laisser arrêter par des invectives est battre trop facilement en retraite. 


Ceux que l’on accuse bêtement de complotisme peuvent produire des scénarios biaisés, excessifs. Dans un monde comme le nôtre, ils ont au moins le mérite de nous rappeler que la réalité est une construction de notre esprit et de proposer plusieurs façons d’interpréter les ombres qui défilent sur les parois de notre caverne. Ils nous invitent à renoncer à la passivité de l’esprit et à user des différents processus de notre intelligence pour construire et non recevoir notre représentation de la réalité. Je ne nie pas qu’il y ait des individus voire des groupes qui soient la proie d’un délire d’interprétation. Mais, comme l’a dit Clément Rosset: « il n’y a pas de délire d’interprétation puisque toute interprétation est un délire ». Entendez par là que, dès lors que l’on extrapole de ce que l’on voit, dès lors qu’à partir de cela on commence à élaborer un récit, on se retrouve, si rationnelles qu’elles puissent paraître, dans les constructions de notre imagination, dont chacun d'entre nous place les bornes en fonction de ce qu'il estime très subjectivement vraisemblable. Je rappelle que, pour une majorité de gens, il fallut attendre le retour des survivants pour que soit reconnue l’existence des camps de la mort dans toute leur horreur. Jusque là, celui qui affirmait cette existence passait au moins pour déraisonnable. Le plus difficile à penser pour la plupart des êtres humains est la capacité de malfaisance de certains de leurs congénères. Pour autant, face à l'opacité de certaines situations, vouloir savoir et vouloir comprendre, quels que soient les risques d'errement, est un besoin légitime de l’humain.

 

Nous ne sommes pas des enfants qu’il faut protéger de la pornographie. Penser par soi-même est essentiel. Avoir accès à l’information n’est pas négociable. Dans la mesure où elle n’appelle pas à la violence et respecte l’autre, je soutiens farouchement la liberté d’expression. La censure ne sert qu’à protéger le mensonge et les menteurs. Pourquoi ? Parce qu’avoir le pouvoir de l’exercer n’est pas corrélé avec la garantie de la sincérité. J’entends être maître de ce que je lis et des interprétations que je peux en tirer. J’entends rester libre de commettre des erreurs, et je préfère trébucher sur mon propre chemin que passer à toute allure dans un train que je n’ai pas choisi. 

 

La plus belle ruse du diable est de faire croire qu’il n’existe pas. 

 

15/03/2021

Eloge de l'exercice complotiste (6/7): L’aléatoire, l'invisible et le cheval

 

6. L’aléatoire, l'invisible et le cheval

 

Ce n’est pas parce qu’un phénomène ne présente pas les apparences classiques du pouvoir qu’il ne recèle pas une énergie pouvant s’ordonner à une intention extérieure qui le récupérerait. Il est important de ne pas voir des complots où il n’y en a pas, il l'est aussi de surveiller ce qui, sans en avoir les apparences, représente cependant l’assemblage d’une puissance à prendre en considération.

Parallèlement, ce n’est pas parce qu’un phénomène n’a aucune intentionnalité pour ressort qu’il ne faut pas le surveiller. La marée n’a que faire des attentes des hommes, elle répond au mouvement de la Terre et de la Lune, mais quand elle est haute les plus gros vaisseaux, jusque là immobilisés, peuvent accéder au port ou en sortir. Un phénomène sans intention peut ainsi offrir son support à des joueurs qui en ont une et qui le chevaucheront comme le surfeur une vague qu’il n’a pas créée mais qui l’emporte. Je ne pense pas que le covid, même s’il semble avoir les caractéristiques d’un artefact, ait été volontairement lâché dans la nature. Cependant, l’aubaine qu’il a constituée pour certains joueurs est évidente: il a fourni l’opportunité de gains considérables, d’un contrôle inouï des populations, de la valorisation de certaines théories scientifiques ou médicales, sans parler des tribunes qu’il a offertes aux egos de tout poil. 

Nombre d’évènements résultent selon moi davantage de « complicités objectives », comme aurait dit  Marx, que d’intentions communes. La rencontre aléatoire d’éléments hétérogènes peut engendrer quelque chose d’inattendu, modifier l’équilibre des forces, voire entraîner de vrais basculements - tout en donnant l’impression qu’il y a à tout cela un orchestrateur qui en fait n’existe pas. Un exemple: toujours à cause du covid, les gens payent encore moins en liquide qu’auparavant, car les pièces et les billets qui passent de main en main sont un vecteur idéal pour un virus qui se déplace par portage. Ces nouveaux comportements vont dans le sens souhaité par certains acteurs de l’économie qui n’ont rien à voir avec la santé et la médecine. La numérisation totale de la monnaie permet un contrôle total des flux financiers. Peuvent y être favorables ceux qui voient davantage de tricheries fiscales chez les pauvres que chez les riches. Peut l’être également le ministère des finances qui ferait ainsi l’économie de la monnaie à frapper ou à imprimer et qui sait qu’il lui est plus facile de prendre un peu à beaucoup que beaucoup à quelques-uns. Peuvent y être favorables tous les affamés de ces data qui leur permettent de mieux nous connaître. L’accueilleraient sans déplaisir les banques qui récupèreraient ainsi des flux qui leur échappent encore et se débarrasseraient de la corvée coûteuse et fastidieuse de mettre à disposition les coupures de toute taille. Pourrait le vouloir aussi un Etat désireux de renforcer son contrôle. Mais supprimer la monnaie fiduciaire quand elle représente quinze pour cent des flux provoquerait un tollé. Grâce aux vagues épidémiques, l’usage des pièces et des billets est tombé si bas que bientôt l’inconvénient d’une telle mesure sera acceptable. Pour ceux en tout cas qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. 

Les transformations invisibles

Sont aussi à observer, si l’on veut essayer de discerner la force des choses et sa direction, ce que le philosophe et sinologue François Jullien appelle « les transformations silencieuses » (1). Ce sont des changements si lents, si subtils, qu’ils échappent à notre regard. Comme il l’écrit: « Grandir - nous ne voyons pas grandir: les arbres, les enfants. Seulement, un jour, quand on les revoit, on est surpris de ce que le tronc est devenu déjà si massif ou de ce que l’enfant désormais nous vient à l’épaule.» Je vous propose un exercice: regardez autour de vous et, avec la référence de votre mémoire, ouvrez vos sens. Qu’est-ce qui, insensiblement s’est transformé, autour de vous, au cours de ces dernières années ? N’hésitez pas à être d’abord au plus près de vos perceptions et à comparer à vos souvenirs les couleurs, les odeurs, les sons, les volumes… Quelle direction, quelles mutations possibles cela suggère-t-il ?

Quand il s’agit de faire évoluer des opinions qui, prises à froid, bloqueraient la réalisation de leurs desseins, les tacticiens savent induire un genre de transformations discrètes. La première chose pour y parvenir est de se donner le temps, donc de s’y prendre bien en amont. Ensuite, il convient de ne pas rechercher au début une décision formelle et de se contenter d’une succession de modestes « pourquoi pas ? », parfois même tacites. Le temps aidant, le simple fait qu’un sujet devienne familier allège les inquiétudes et crée en sa faveur une pente imperceptible.

Le cheval de Troie

Evoquer plus haut une chevauchée m’a fait penser au récit du cheval de Troie dans l’Odyssée. C’est une autre manière, pour un changement, d’être invité par ceux-là même qui n’en voudraient pas. Les crédules Troyens ont ouvert les portes de la cité  à ce cheval apparu miraculeusement sur une plage alors que leurs ennemis avaient disparu. Ce faisant, ils ont introduit ceux-ci, qui étaient cachés à l’intérieur, dans la cité. Nombre d’engouements de notre époque me paraissent susceptibles d’être des chevaux de Troie. Je vous laisse y penser et si vous avez envie de partager vos hypothèses en commentaire, vous serez les bienvenus. 

Les incohérences apparentes

Il y aurait bien d’autres choses à dire. Le sujet me passionne car il rejoint l’exercice mental de la prospective, cette « indiscipline intellectuelle » (3) qui donne son nom à mon blog, mais j’en terminerai par les incohérences apparentes. L’incohérence n’existe pas. La série « Dr House » par exemple, montre que l’incohérence des symptômes n’est que la manifestation d’un diagnostic mal posé. Même la folie a sa cohérence. L'incohérence que nous percevons ne peut être que la manifestation d’une cohérence située à un niveau qui nous échappe. Ne pas se poser de questions devant l'incohérence, ou lui trouver des réponses trop faciles, est dangereux. Qui peut savoir ce que la cohérence qui nous échappe est en train d’engendrer ? 


(1) François Jullien, Les transformations silencieuses, Grasset, 2009. 

(2) L’expression est de Michel Godet. 

(Suite et fin au prochain épisode)